La Route Maritime du Nord : une nouvelle stratégie de sécurité dans l’Arctique

par Carole Grimaud Potter

La sécurité dans l’Arctique est devenu un enjeu international majeur. Les relations détériorées entre la Russie et les pays membres de l’OTAN offrent un contexte particulièrement favorable pour renouer avec les fantômes de la Guerre Froide. Le contrôle de l’Arctique y était alors déterminant pour les forces en conflit. Les médias évoquent aujourd’hui une remilitarisation de la région comme elle l’était alors. Or « l’esprit arctique », fait de coopération et de dialogue, concentré au sein du Conseil de l’Arctique semble vouloir être préservé. Les résultats positifs obtenus lors du sommet inter-ministériels du Conseil de l’Arctique, tenu à Fairbanks, au mois de mai dernier vient le confirmer : la signature de l’accord de coopération scientifique, l’admission de sept nouveaux membres observateurs dont la Suisse et le renforcement du Conseil Economique de l’Arctique. La sécurité est encore un sujet écarté lors des rencontres officiellles entre les pays arctiques. Pourtant le futur développement de la Route Maritime du Nord ne saurait se réaliser sans une coopération entres les pays riverains.

Le Forum International Arctique1 , qui s’est déroulé au mois de mars 2017 à Arkhangelsk s’est ouvert sur l’allocution de Vladimir Poutine. Le président russe reprit une citation de l’un des plus célèbres explorateurs soviétiques, Otto Schmidt2. La référence historique n’est pas sans rappeler la période durant laquelle l’URSS plaçait l’Arctique comme objectif principal d’une géopolitique scientifique et militaire innovante. Depuis une dizaine d’années, l’Arctique est redevenu un enjeu majeur pour la Russie. Le potentiel de développement économique et commercial avec la nouvelle navigabilité des routes maritimes, rendue possible par le recul des glaces, offre de nouvelles opportunités commerciales et de nouvelles richesses à la Russie, dont, rappelon le,  la façade arctique est la plus grande de tous les pays de la région.

Le potentiel énergétique de l’Arctique russe représente 69 % des réserves en hydrocarbures de la région.

Bien que nécessitant des technologies encore inachevées et très coûteuses pour son extraction, ce potentiel représente un défi capital pour l’avenir d’un pays dont les principales ressources économiques proviennent du sol.

Les activités économiques des compagnies russes dans l’Arctique constituent 10 % du PIB du pays. 

Mais face à ces défis nationaux, la Russie doit composer avec les autres Etats riverains de l’Arctique3, avec lesquels elle a créée ou consolidé des liens économiques, institutionnels et parfois même militaires. A cela s’ajoute la persistance de différends juridiques entre la Russie et le Canada (passages du Nord-Ouest et du Nord-Est), les revendications russes concernant l’extension des plateaux continentaux (dorsales de Lomonossov et de Mendeleïev) ainsi que sur le tracé de certaines frontières maritimes (en mer de Béring notamment).

Une volonté de collaboration maintenue malgré un climat international tendu et le flottement de l’administration américaine

« Nous oeuvrons pour faire de l’Arctique un modèle global de paix […]” 4

La déclaration de Borge Brende, ministre norvégien des Affaires Etrangères prononcée à Fairbanks, porte tout son sens. Les interventions de Vladimir Poutine et du président finlandais, Sauli Niinistö, dans le cadre du Forum Arctique d’Arkhangelsk au mois de mars s’inscrivaient déjà dans cette ligne : l’importance de la préservation du dialogue, de l’interaction et de la coopération. « Il n’y a pas de conflit potentiel dans l’Arctique »5 avait précisé le président russe «…nous réalisons que la Route Maritime du Nord nécessite la création d’un environnement favorable pour les compagnies de transport ».

Pour le président finlandais, « même si la géopolitique ne doit pas jouer dans l’Arctique, il est temps que la coopération arctique atteigne un niveau supplémentaire ». Aujourd’hui, la sécurité de la région, malgré des tentatives de collaboration, ne figure pas parmi les domaines de priorité6 du Conseil Arctique même si l’idée est évoquée au sein du groupe des huit. Le sujet n’a pas été évoqué à Fairbanks lors du premier sommet ministériel du Conseil de l’Arctique en mars derrnier.

Les nouvelles stratégies sécuritaires des pays arctiques : réorganisation et décentralisation

La sécurité dans l’Arctique est étroitement liée aux contraintes environnementales et a subi de nombreuses transformations durant les dernières décennies. Il est aujourd’hui nécessaire de redéfinir la sécurité, de délimiter son champ d’action et d’en connaître l’objet. La dimension environnementale de la sécurité et les risques de pollution s’y attenant ont été soulevés dans les années 1980 et 1990 par les Nations Unis, les sociétés civiles et les peuples du Nord. Une réorientation politique a ensuite suivi.

Pour la plupart des pays, les ressources de l’Arctique sont vues comme nationales dans leur potentiel et leur utilité. En 2009, la célèbre phrase du premier ministre canadien Stephen Harper, concernant l’Arctique, « Use it or lose it7 » n’est qu’un exemple de la perception nationale qu’ont les pays de cette région fragile aux multiples défis.

La position commune des pays Arctiques pour atteindre leurs objectifs s’accorde sur le principe de la préservation de la paix et de l’environnement,  tout en développant une stratégie de sécurité afin de surveiller les nouvelles activités et défendre les intérêts nationaux.

Un des signes les plus récents, illustrant cette nouvelle stratégie se trouve dans la réorganisation et la décentralisation des centres de commandement8.

Les trois commandements américains pour les zones pacifique, Europe et Nord ont été réunis sous une unique entité, NORTHCOM. Des études sont actuellement menées au sein du Commandement nord-américain afin d’« examiner les possibilités de soutenir les autorités civiles dans leurs opérations de recherche et de sauvetage, d’aide humanitaire ou de réponses aux catastrophes environnementales ».9

Le Canada, depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2006 a fait de la défense de sa souveraineté en Arctique un sujet principal de sa politique avec le projet de construction d’un port militaire à Nanisivik et le déplacement de son centre d’entraînement à Nunavut. Une structure unique, le Commandement arctique, à Nuuk, a remplacé en 2012 les commandements militaires du Groenland et des îles Féroé et envisage d’élargir le champ d’opérations suivant le modèle envisagé par le NORTHCOM.

La Norvège a transféré son centre opérationnel des Forces Armées de Stavanger à Bodo et le quartier général de la Garde côtière à Sortland. La Norvège a ainsi fait le choix de centraliser ses activités militaires au plus près de ses ressources dans le Grand Nord.

La Russie, quant à elle, est en cours d’unification de son Commandement stratégique, regroupant la Flotte du Nord, des unités terrestres et aériennes, des représentants des ministères de l’Intérieur, des Situations d’Urgence et des Gardes-Côtes.

 

Six anciennes bases soviétiques sont en cours de réaménagement et de restructuration le long de la Route Maritime du Nord et s’inscrivent dans un cadre de modernisation du système de sécurité intérieur de la Russie. La Russie a établi un programme de construction de sites sur l’archipel de Nouvelle Sibérie, François-Joseph, Novaia Zemlia ainsi que sur le Cap Schmidt et l’île Wrangel. Les aérodromes existants, abandonnés depuis 1990, sont réaménagés.

Le Canada, la Norvège et la Russie ont tous augmenté leur budget militaire avec une hausse de 44 % pour la Russie entre 2013 et 2016

Le Danemark a maintenu son budget de la zone arctique en réduisant par ailleurs les coûts globaux. Le Département de la Défense américain souhaite quant à lui allouer des sommes plus importantes pour la zone arctique, malgré des coupes dans le budget de la Défense. En analysant les récentes stratégies  arctiques  des pays, on peut constater que l’environnement, l’économie et la coopération se placent dans les premières priorités des gouvernements. Viennent ensuite la protection des peuples autochtones et l’affirmation de la souveraineté.Seule la stratégie arctique danoise mentionne l’importance de l’OTAN et de la coopération du groupe des cinq pays arctiques qui en sont membres.

Une collaboration actuelle dépourvue de stratégie

La coopération en matière de sécurité et de défense constitue à ce jour un ensemble d’accords multilatéraux et bilatéraux, ainsi que des rencontres entre les pays, sans véritable stratégie globale pour l’Arctique. Au sein du Conseil Arctique, la volonté délibérée de ne pas institutionnaliser la sécurité fut choisie par les pays membres du Conseil de l’Arctique afin de garantir la souplesse des relations entre les Etats. La neutralité des divers alignements sont perçues comme essentielles pour le bon fonctionnement des politiques de la région. Cette volonté a été mentionnée lors de la création du Conseil de l’Arctique, dans la déclaration d’Ottawa, en 1996. Toutefois, dans les années 2000, les organisations de sécurité présentes dans l’Arctique ont orienté leurs politiques vers une plus grande collaboration.

La Russie isolée des autres alliances de coopération : une organisation héritée de la Guerre froide

 

Les traités multilatéraux

L’OTAN

Le plus important en nombre de pays membres et en capacité reste l’OTAN. En janvier 2009, lors de la Conférence de Reykjavik, l’OTAN a évoqué un nouveau rôle pour l’Alliance, d’avantage orienté vers les opérations de recherche et de sauvetage et les missions d’urgence en cas de catastrophes écologiques. La proposition des auteurs Cyril Maré et Rémi Raher (Géopolitique de l’Arctique) selon laquelle l’OTAN pourrait devenir « un acteur clé dans la sécurité en Arctique face aux menaces transnationales résultant de l’augmentation du trafic maritime et de l’exploration croissante des ressources naturelles »10 semble peu réalisable, si l’on considère la participation de la Russie. Trop chargée de par son passé « Guerre Froide », l’OTAN, bien que constitué de 5 pays arctiques ne peut apporter le niveau suffisant de neutralité pour s’inscrire dans une politique commune sécuritaire de la région, sans compter le « NATO Russian syndrome »11 qui définit la Politique de Sécurité Nationale (2015) de la Russie. De plus, l’OTAN est, de par sa structure, sa stratégie et son histoire, plus à même de répondre à des menaces nécessitant une réponse s’inscrivant dans une « hard strategy » (voir ci-dessous)

le traité NORAD

L’organisation américano-canadienne NORAD s’est aussi orientée vers des missions de surveillance du trafic commercial aérien dans l’Arctique (1000 vols quotidiens transpolaires) constituant une menace potentielle importante après les attentats du 11 septembre 2001. La Russie a collaboré avec le NORAD en 2010 en testant ses capacités de réaction en cas de détournement de vol. En 2006, le NORAD élargissait ses fonctions en y ajoutant une mission d’alerte maritime. Or, la crise ukrainienne de 2014 a suspendu les coopérations militaires canadiennes et américaines avec la Russie, l’isolant également économiquement avec les séries de sanctions adoptées à son encontre. Cette série de décisions et le climat international a fragilisé l’équilibre politique de l’Arctique. Ainsi, les soldats russes présents dans le Grand Nord canadien ont été renvoyés. Les opérations conjointes d’exercices prévues en 2014, réunissant les flottes de Moscou, Oslo et Washington, l’Armée de l’Air russe et le NORAD ont été annulées.

 Les Accords SAR (Search and Rescue)

Signés en 2011 par tous les pays du Conseil de l’Arctique, ils assurent une collaboration entre tous les pays pour prêter assistance en cas de catastrophe maritime, humanitaire et écologique.Toutefois, « les dispositions de ces textes demeurent générales et visent plutôt à coordonner des actions nationales qu’à créer une réponse unifiée, sans qu’aucune sanction ne soit prévue en cas de manquement »12.

Les traités bilatéraux

Le traité russo-norvégien POMOR

En raison d’une proximité géographique, d’une frontière commune (196 km) et des relations historiques, économiques et diplomatiques qu’il serait trop long de développer ici, la Norvège est le seul pays avec lequel la Russie a constitué un accord de collaboration militaire et sécuritaire commune.

La Norvège est pour la Russie, « l’un des partenaires et voisins occidentaux les moins problèmatiques »13, un pays modèle pour sa gestion et sa rentabilisation des ressources énergétiques et un partenaire commercial et technologique de premier ordre.

Tout en étant l’un des principaux protagonistes des ressources de l’Arctique, avec la Russie, la délimitation des zones maritimes entre les deux pays ne s’est faite que récemment, en 2010.Dans cet esprit de coopération, les accords POMOR ont été signés en 1990 entre la Russie et la Norvège. Le volet « Incident Sea Agreement » assure la prévention d’incidents dangereux maritimes et aériens, en cas de proximité, entre les deux forces armées des deux pays. En 2015, un amendement a été ajouté au protocole, dont le but est d’assurer l’échange continuel d’informations sur les actions et les intentions des deux parties (procédures de restrictions, d’obligations et de communication pour les forces maritimes et aériennes). Les deux parties se rencontrent annuellement et des échanges hebdomadaires par Skype sont également d’usage. Bien que la Norvège ait suspendu les exercices militaires communs en 2015, la collaboration est toutefois maintenue dans le domaine de la sécurité.

NORDEFCO, le traité nordique de coopération Finlande/Suède

En raison de leur non appartenance à l’OTAN, de leur proximité géographique et d’une vision de politique sécuritaire commune, les deux pays ont signé un traité en 2013 prévoyant l’échange d’informations, des opérations conjointes voire même la possibilité d’approfondir la coopération dans le partage des capacités (air et maritime).14

 

Les tables rondes et les forums

Depuis 2011 a lieu des tables rondes (Arctic Security Forces Roundtable) regroupant 11 pays, mais sans la Russie. Depuis 2015, les huit pays arctiques se retrouvent dans le cadre du Arctic Coast Guard Forum. Au sein du Conseil de l’Arctique, la question d’un Forum de Sécurité est largement controversé. Face au risque de l’augmentation de l’activité militaire dans la région depuis ces dernières années, les détracteurs mentionnent la nature non agressive des récents développements et l’éventualité de soulever le problème de la sécurité n’aurait pour résultat que de créer des différends, là où il n’en existe pas. Il n’en reste pas moins qu’une collaboration sécuritaire dans les domaines « non traditionnels » tels que la prévention des urgences liés au pétrole, l’assistance humanitaire et la réponse en cas de désastre écologique ou alimentaire doit être prise en compte si la Russie place l’objectif principal de sa stratégie dans le développement commercial de la Route Maritime du Nord.

Penser une nouvelle stratégie de sécurité pour l’Arctique c’est envisager l’élargissement de la coopération

Une nouvelle stratégie de sécurité dans l’Arctique, collaborative, devra reposer invariablement sur une « soft governance » afin de correspondre à l’esprit du Conseil Arctique. Elle ne revêt donc pas de contraintes mais l’objectif essentiel reste l’élargissement de la coopération entre les Etats concrétisée par la création d’une unité de sécurité commune. La collaboration russo-norvégienne (POMOR) est actuellement une bonne base de coopération, pour les raisons évoquées ci-dessus (situation géographique proche, intérêts partagés dans la zone, relations diplomatiques peu détériorées malgré des incidents de frontières terrestres en 2016). 

La volonté pragmatique de la Russie est de constituer une organisation commune capable d’assurer la sécurité de la Route Maritime du Nord, véritable enjeu économique pour le pays.

Un groupe de travail « sécurité » au sein du Conseil Arctique

Dans le cadre du Conseil Arctique, un groupe de travail « sécurité » pourrait se constituer, dans un premier temps, avec les pays favorables, tels que la Finlande (qui assure la présidence du Conseil Arctique cette année)15  la Russie et la Norvège. Ce groupe de travail pourrait non seulement être constitué de spécialistes, scientifiques, agents des ministères mais aussi des représentants des compagnies pétrolières présentes dans l’Arctique, augmentant ainsi la part de la société civile au sein du Conseil jusqu’ici pratiquement inexistante. Des rencontres ministérielles (Affaires Etrangères et Défense) permettraient d’élaborer les objectifs communs en matière de sécurité. Le but de ce groupe de travail étant de privilégier l’échange d’informations, d’évaluations et de discussions pour l’élaboration d’une stratégie commune afin d’offrir une réponse unifiée dans les cas de Recherche et Sauvetage (Search and Rescue), catastrophe écologique et fuites d’hydrocarbures, terrorisme, piraterie et traffics. 

La Russie s’emploie à réaménager et à adapter les ports et bases destinés à acceuillir les unités de sécurité : Mourmansk et Dikson (pour le secteur ouest) en activité toute l’année, Tiksi, Pevek et Providenyia (pour le secteur est) en activité seulement pendant la période de navigation.

Cartes ici

Sortir des shémas de la Guerre Froide pour un Arctique neutre et sécurisé

Distinction entre « soft stragegy » et « hard strategy »

Le concept de sécurité à évolué depuis la fin de la Guerre Froide lorsque les analystes établissaient une distinction entre conventionnel et non conventionnel. Les principales menaces pour la paix internationale et la sécurité ne sont plus les mêmes aujourd’hui, et peuvent être considérés comme relevant du « non conventionnel » selon l’ancienne terminologie. Il convient aujourd’hui de distinguer entre « hard strategy» et « soft security », correspondant dans certaines mesures à la distinction « conventionnelle » et « non conventionnelle ». Ainsi sépare-t-on la sécurité de la défense, en dépit du fait que les deux domaines sont étroitements liés et parfois dépendants l’un de l’autre. En effet, il convient de considérer le fait particulier que les nouveaux matériels mobiles le sont souvent pour mener à bien une double mission de sécurité et de défense mais aussi d’observation à des fins scientifiques ou de missions « civiles » diverses, pour des raisons de réduction des coûts et conformément aux protocoles d’intervention. « Les matériels embarqués sont assez surdimensionnés par rapport à de simples missions de gendarmerie et se destinent plus à des situations de guerre »16. Par exemple, les cinq frégates Fridtjof Nansen norvégiennes sont équipés du système de combat antimissile Aegis ou les trois frégates de la marine danoise Iver Huitfeltdt qui pourraient potentiellement s’équiper d’un système de combat C-Flex et des radars de défense contre les missiles balistiques ou d’attaque avec des missiles de croisières. Le climat de suspicion généralisé, attisé par les médias, les déclarations des ministres de la Défense et du commandement de l’OTAN ne font que fragiliser l’équilibre atteint par les membres du Conseil de l’Arctique. Or, comme l’a précisé Vladimir Poutine, interrogé sur « l’escalade de la militarisation russe », lors du dernier forum de l’Arctique, « reconstruire les infrastructures militaires russes ne font que répondre aux questions de sécurité dans l’Arctique et nous devons collaborer ensemble contre la pêche illégale, la piraterie et la contrebande, l’utilisation illégale des ressources. Nos infrastructures militaires répondent aussi aux besoins d’urgence, de catastrophe écologique telle que les fuites de pétrole. Nos bases sont aussi un lieu d’accueil pour les scientifiques, les services de biologie. Nous sommes totalement transparent avec cela ».

La flexibilité dans le temps et l’espace est essentielle dans le cas d’une politique de soft strategy pour l’Arctique et déterminante dans le cadre d’une collaboration sécuritaire des pays arctiques

Le domaine de la « soft security » correspond aujourd’hui aux principales menaces telles que les conflits ethniques, les disputes territoriales et nationales, le crime organisé, le terrorisme, les trafics de tous genres (drogues, armes…), le blanchiment d’argent et les atteintes criminelles à la déstabilisation des marchés des jeunes démocraties ou de celles établies. La principale méthode pour assurer la « soft security » ne repose pas sur l’utilisation du militaire. Les éléments les plus importants sont les forces de police, les services spéciaux de sécurité et les agences, mieux équipées pour traiter des menaces variées. Moins visibles que les actions menées dans le cadre d’une « hard security », ils n’en nécessitent pas moins une planification détaillée et une politique de développement sur le long terme, dans un espace géographique et temporel élargi. Au contraire d’une « hard strategy », laquelle requiert une stratégie militaire et des soldats comme principaux agents de défense, une « soft strategy » nécessite des soldats en tant qu’agents. La flexibilité dans le temps et l’espace est essentielle dans le cas d’une politique de « soft strategy » pour l’Arctique et déterminante dans le cadre d’une collaboration sécuritaire des pays arctiques.

Quelles seraient les conséquences d’une nouvelle stratégie de sécurité pour l’Arctique russe ?

Sur les ressources

Une collaboration sécuritaire arctique unifiée garantirait une surveillance accrue de tous les sites pétroliers dans la zone. De plus la participation des membres des compagnies pétrolières au sein des divers groupes de travail du Conseil de l’Arctique pourrait parfaire la connaissance des risques et parer à l’éventualité de fuites d’hydrocarbures qui seraient catastrophiques pour la zone arctique. Les plate-formes pétrolières étant essentiellement concentrées en mer de Barents, le centre de « Search and Rescue » et de prévention de fuites pétrolières pour le secteur ouest de la Route Maritime du Nord (Mourmansk) pourrait s’élargir à la collaboration unifiée de sécurité en accueillant personnel et matériel. L’aérodrome militaire en cours de réaménagement basé à Severomorsk sera utilisé pour les opérations de sauvetages et d’observation par voie aérienne. Les autres aérodromes en rénovation près de Tiksi, Anderma et Temp (îles de Nouvelle Sibérie), ainsi que celui de Anadyr pourront participer la sécurité aérienne des centres de secours de Dikson (mer de Kara), Tiksi (mer de Laptev), Pevek (mer des Tchouktches et de Sibérie Orientale) et Providenyia (mer de Béring).

Sur l’environnement

La participation des militaires russes dans le programme de dépollution des sites arctiques sur lesquels sont installées les nouvelles bases pourront être maintenues, en collaboration avec d’autres équipes de l’unité de sécurité commune. Il s’agit de plusieurs milliers de tonnes de déchets répartis sur les îles, ainsi que des épaves d’avions militaires des années 1960. Toutefois, l’augmentation de l’activité humaine sur les îles arctiques mais également au sein des centres de « Search and Rescue » situés sur la côte sibérienne (Dikson, Tiksi, Pevek et Provideniya) n’auront qu’un effet aggravant sur l’environnement (production de déchets, utilisation de véhicules militaires, utilisation du nouveau brise-glace nucléaire Arktika). Les aérodromes en réaménagement et l’utilisation des avions et hélicoptères auront également des conséquences néfastes sur l’environnement.

Pour la Route Maritime du Nord

Le développement de la Route Maritime du Nord concerne non seulement l’augmentation du trafic commercial avec des navires de capacité plus grandes, mais aussi l’essor du tourisme. Etablir des postes de sécurité sur toute la côte sibérienne afin de garantir la sécurité des personnes, des marchandises transportées et de l’environnement est un impératif pour la Russie.  Pour les

Pour les populations locales

La décision prise par le gouvernement russe pour le réaménagement des différentes bases militaires de l’époque soviétique situées le long de la côte sibérienne impliquent une augmentation de l’activité économique des régions et de la population, déjà largement sous-peuplée (en particulier les bases de Anadyr, Tiksi, Nordvik dans la partie la plus à l’est du pays). La ré-exploitation de ces sites, dont la fonction n’est pas uniquement militaire mais aussi sécuritaire, permettront une amélioration des infrastructures existantes (aménagement des routes et des voies de transport), et la création d’une vie économique et sociale locale grâce aux nouveaux emplois crées dans les différents secteurs (défense et sécurité, construction, commerce, service public). Privilégier la main d’oeuvre locale avec la création de centres de formation et de programme d’éducation aux différents métiers demandés pour le développement des infrastructures de sécurité et de secours semble être primordiale pour les populations locales.

Pour le climat politique du « club arctique »

Il est évident qu’une collaboration en matière de sécurité entre les huit pays au mieux, aurait un effet domino dans l’apaisement des tensions existantes. Ces dernières pouvant perdurer au détriment des perspectives économiques de la Russie pour le développement de la Route Maritime du Nord.

Distinguer les enjeux de l’Arctique des autres scènes de conflits géopolitiques : une opportunité majeure pour l’avenir de la région

Le développement de la Route du Nord et la préservation du climat de confiance établi au sein du Conseil de l’Arctique sont des priorités essentielles pour la Russie. Atteindre la neutralité pour une sécurité ciblée dans l’Arctique devra passer par une plus grande coopération entre les Etats. A l’heure actuelle, cette coopération ne sera rendue possible que lorsque les Etats membres de l’OTAN auront distinguer les enjeux de l’Arctique des autres scènes de conflits géopolitiques les opposant à la Russie, au risque de manquer une opportunité majeure pour l’avenir de la région. Le développement de la Route Maritime du Nord reste un projet ambitieux et présente de nombreuses faiblesses (manque d’investissements, d’infrastructures et de technologies entre autres) mais oeuvrer à son succès ouvre des opportunités de coopération entre les pays riverains qu’il serait dommageable de ne pas saisir. Le rôle du Conseil de l’Arctique sera de clairement définir ces opportunités et d’amener les Etats à poursuivre leur travail dans l’esprit des débuts.

Notes :

La première organisation internationale créée en 1996, après la fin de la guerre froide, le Conseil Arctique, regroupe les huit pays riverains énoncés ci-dessus, rejoint par douze Etats non-arctiques, neuf organisations intergouvernementales et onze ONG. Au sein de cette organisation, les enjeux sont étudiés et discutés, un peu à l’écart de la scène internationale, dans un climat de coopération pacifique, propre à la communauté scientifique de l’Arctique qui a marqué l’histoire de sa découverte

Otto Schmidt ((1891-1956) dirigea de nombreuses expéditions polaires entre 1929 et 1930 et établi la première station de recherche scientifique sur l’archipel François-Joseph. En 1932, il effectua le premier voyage sans escale d’Arkhangelsk à l’océan Pacifique, sans hivernage et en 1933-1934, dirigea le fameux voyage du Tcheliouskine, le long de la route maritime du Nord. L’expédition se termina par une évacuation aéroportée, la première de tous les temps

Canada, Norvége, Etats-Unis, Danemark, Finlande, Suède, Islande

4Norway’s Statement at Arctic Council in Fairbanks, Alaska – www.regjeringen.no

Discours du Président Poutine au Forum Arctique International –

RT – 30/03/2017 – http://www.youtube.com/watch?v=-Vvz9_veeUM

6 ressources, politique climatique, exploitation de la route maritime et peuples autochtones

Propos tenu en 2009 lors des exercices militaires canadiens « Opération Nanook » , Arctic ‘of strategic importance’ to Canada, CBS News Canada, 19/09/2009

Voir Annexe “Réorganisation et Décentralisation”

C. Maré et R. Raher – Géopolitique de l’Arctique, L’Harmattan, 2014

10 Géopolitique de l’Arctique, Cyril Maré et Rémi Raher – l’Harmattan, 2014

11Contextualizing and Disarming Russian Arctic Security Posture, Lincoln E. Flake, The Journal of Slavic Military Studies, 2017

12 Géopolitique de l’Arctique, Cyril Maré et Rémi Raher, L’Harmattan, 2014

13 M. Godzimirski – Russie-Scandinavie : Les Liaisons Dangereuses ? Outre-Terre, 2011

1Review on Finland’s security cooperation – Ministry for Foreign Affairs of Finland

15 Depuis le 11 mai 2017, la présidence du Conseil de l’Arctique (deux ans) est passée des Etats-Unis à la Finlande, sous la direction de Aleksi Härkönen (sources : France Diplomatie)

16 Géopolitique de l’Arctique, Cyril Maré et Rémi Raher, L’Harmattan, 2014

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