La Moldavie, le nouveau front de la guerre d’influence entre l’Union européenne et la Russie ?

By Edouard Pontoizeau – Montreal

Ex-République soviétique de 2,7 millions d’habitants, la Moldavie s’était constituée une identité collective propre à l’époque soviétique, qui a eu pour but de diluer les identités nationales (Roumaines, Russes, et Gagaouzes notamment). Équilibre précaire menacée au fur et à mesure du déclin de l’URSS, la Moldavie s’est déchirée à l’aube de son indépendance dans une guerre civile ayant opposé gouvernement moldave et séparatiste russe de Transnistrie, dans l’est du pays. Ce conflit toujours latent est depuis lors gelé, laissant une Moldavie désormais enclavée dans un « entre-deux » entre le glacis géostratégique russe à l’est et le cercle d’influence européen à l’ouest.

  • Un contexte d’instabilité nationale et régionale

Deux conséquences majeures ont suivi ces événements : 1) La séparation du pays au niveau du fleuve du Dniestr, laissant 12% du territoire national aux mains des séparatistes pro-russes, ainsi qu’une partie significative de son industrie manufacturière et énergétique [1], 2) La polarisation de la vie politique moldave autour des questions identitaires (roumanophone pro-européen vs russophone pro-russe), laissant l’État dans une situation de vacances, subissant les rivalités claniques et politiques.

En effet, le pays est fracturé sur fond de clivage identitaire. Désireux de se rapprocher de Bruxelles et de Bucarest, les roumanophones manifestent leur volonté de se défaire d’un passé soviétique révolu, tout en aspirant à intégrer un espace démocratique et relativement prospère. Quant aux russophones, ces-derniers se reconnaissent davantage dans une identité mêlant attachement à un monde russe largement empreint de mépris vis-à-vis de l’Occident, et rêve de recouvrer la gloire soviétique d’antan sous fond de socialisme [2].

Sur l’échiquier politique, cela se traduit par des campagnes électorales tournant largement autour des enjeux d’identité et d’accusations de trahisons et de liquidation du pays au profit de puissances étrangères, achevant la fabrication d’un manichéisme politico-identitaire [3].

Une fracture qui intègre de facto des puissances étrangères dans le jeu politique moldave, et participe des difficultés de Chisinau à demeurer neutre et hors du tourment qu’amènent les tensions internationales [4].

Cette situation politique chancelante se place dans une conjoncture régionale particulièrement sensible affectant la Moldavie de toute part (crise des réfugiés ukrainiens, sanctions économiques, crise énergétique, etc.).

La crainte que les implications du conflit russo-ukrainien puissent ranimer le conflit non réglé de la Transnistrie n’est pas sans fondements. Que ce soit dans les discours politiques de certains cadres dirigeants russes (faisant suite au projet irrédentiste de la Novorossia) [5] ou par la volonté du gouvernement actuelle de Moldavie d’aller de l’avant avec Bruxelles, la division semble plus que jamais palpable.

Un terreau fertile à l’éclatement d’un nouveau conflit semble se profiler, au point même d’envisager la possibilité d’un coup d’État par des factions ayant prêté allégeance à la Russie [6]. En outre, cette dernière est accusée par le gouvernement moldave de chercher à le renverser, ou du moins le déstabiliser à dessein par le biais de manifestations anti-gouvernementales, ce que Moscou dément formellement [7].

  • La réponse européenne

L’Union européenne s’active dernièrement face à cette vulnérabilité inquiétante dont fait preuve le gouvernement moldave. Alors que le pays sombre dans une crise économique latente, celle-ci peine à faire face aux problèmes de criminalité et de corruption endémique. En prise à des intérêts privés, voire oligarchiques, les administrations publiques moldaves sont en proie à des interférences étrangères fréquentes [8]. À ce propos, l’Union européenne a évoqué la possibilité de soutenir les autorités moldaves dans ses efforts de transparence et de lutte contre la corruption, notamment en visant les oligarques moldaves ayant des activités avec le crime organisé. Cependant, cela viserait principalement les oligarques ayant des accointances avec Moscou.

Maia Sandu, présidente de Moldavie depuis décembre 2020, a non seulement rallié les aspirations pro-européennes dans sa coalition de gouvernement, mais a aussi séduit l’opinion publique moldave et occidentale quant à ses promesses de lutte contre la corruption [9]. Dans le même temps, la présidente de la Moldavie a accéléré le processus de demande d’adhésion à l’Union européenne visant à davantage intégrer le modèle de développement à celui du marché commun européen. Une manière pour la Moldavie de s’affranchir de la dépendance économique vis-à-vis du géant russe, et qui n’est pas sans déplaire au Kremlin qui tend à préserver sa zone d’influence coûte que coûte afin de marquer une frontière claire entre le monde occidental et le monde russe.

Cette demande d’adhésion à l’Union européenne formulée en 2022 [10] est vue comme une provocation par Moscou, voire un casus belli, au point d’accentuer le risque de déstabilisation de la Moldavie par les autorités russes. Cette demande n’est pourtant qu’en vue d’une potentielle adhésion pour 2030, et n’apparaît pas être une priorité pour Bruxelles en matière de politique de voisinage. Toutefois, l’Union européenne a d’ores et déjà dépêché plusieurs experts en cybercriminalité et en gestion de crise afin de parer aux éventuelles ingérences de Moscou. Cependant, ce dernier semble user de moyens parfois spectaculaires tels que des « attaques d’édifices étatiques et des prises d’otages par des saboteurs au passé militaire camouflés en civil » [11] pour créer une situation de panique généralisée dans le pays.

 


Bibliographie

[1] SÉNAT. 2000. « La Moldavie : bâtir les fondements de l’identité nationale ». Rapport d’information 102 (1999-2000) – Commission des Affaires Étrangères. (En ligne)

[2] IGLESIAS, Julien Danero. 2014. « Nationalisme et Pouvoir en République de Moldavie ». Chap.I. Édition de l’Université Bruxelles.

[3] IGLESIAS, Julien Danero. 2014. Idem. Chap IV. p. 172-173.

[4] IFRI. 2018. « La Moldavie entre la Russie et l’Occident. L’intégration européenne à l’épreuve des fractures internes. » (En ligne).

[5] LE SOIR. 2023. « La Moldavie, le prochain pays dans le viseur russe? « Lavrov est en train de se discréditer ». (En ligne).

[6] OUEST France. 2023. « Crainte de coup d’État : « La Russie veut détruire la Moldavie pour mieux l’assujettir ». (En ligne).

[7] LE FIGARO. 2023. « L’Union européenne annonce une mission civile en Moldavie, pour déjouer les menaces russes ». (En ligne).

[8] PARLEMENT EUROPÉEN. 2022. « Projet de rapport, sur la mise en œuvre de l’accord d’association de l’UE avec la Moldavie ». Commission des affaires étrangères. (En ligne).

[9] LE MONDE. 2020. « En Moldavie, la proeuropéenne Maia Sandu remporte la présidentielle et promet de lutter contre la corruption ». (En ligne).

[10] EURONEWS. 2022. « L’UE lance l’examen des candidatures de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie ». (En ligne). 

[11] LE FIGARO. 2023. « La Moldavie met en garde contre une menace de coup d’État russe ». (En ligne)

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