Par Adrien Nonjon
La révolution du Maïdan de 2013 a été un événement majeur de l’histoire ukrainienne, par ses implications (pression et destitution du pouvoir en place, défis aux Russes) dans le retentissement de cet événement mais aussi de ses modalités. A l’image des Printemps arabes1, les NTIC ont joué un grand rôle, dans la mobilisation et dans le retentissement de cet événement grâce au net, les réseaux et l’onde de choc du cyber-espace. Cet espace qui regroupe l’ensemble des procédures et moyens civils et militaires permettant l’échange de données à travers des espaces d’information et de communication2, est en Ukraine l’un des plus développés au monde. Avec plus de 22,264,633 utilisateurs recensés en 2015 et un taux de pénétration approchant les 40%, l’Internet ukrainien se distingue par une croissance constante et un dynamisme reconnu dans toute l’Europe (9ème meilleur pays sur 10 pour utiliser Internet en 2011)3. Au regard de son importance, notamment dans les villes où il est aisé de se connecter où que l’on soit, il est envisageable de penser que le cyber-espace ait contribué à favoriser l’ampleur du Maïdan jusqu’à conditionner son déroulement.
Appels à la manifestation sur les réseaux sociaux, sms de semonce de la part du pouvoir ou encore vidéos tournées par les manifestants, la révolution s’est prolongée au delà du lieu physique des manifestations4. Elle s’est auto-alimentée, a été diffusée, sur le web où elle a été même théâtralisée, afin de renforcer son élan. Très tôt on a pu parler de « guerre de l’information », autour des événements de la crise ukrainienne5. Internet est apparu comme un plus technique, un outil supplémentaire pour se retrouver plus vite, échanger des informations de terrain, obtenir du secours d’une rue d’un quartier à l’autre. Sans être un facteur explicatif, la toile a fluidifié la révolution Maïdan et lui a donné l’ampleur et l’écho nécessaires. L’Ukraine a dû faire face d’autre part à de vastes campagnes de désinformation et de déstabilisation, de la part de la Russie et des séparatistes du Donbass par le web6. Les acteurs de cette guerre, qu’ils soient gouvernementaux, associatifs, politiques ou individuels se sont affrontés à coup d’informations brutes, d’images détournées et de programmes montés, vouées à décrédibiliser l’adversaire et mettre en doute la véracité des informations7. La révolution de Maïdan et la guerre dans l’Est ont été également l’occasion pour de nombreux acteurs (politiques, bénévoles, individuels…) de (ré)investir le cyber-espace, jusqu’alors considéré depuis 2013 comme une chasse gardée du pouvoir au regard des mesures de contrôle et de restriction. C’est donc naturellement, par souci de visibilité et de propagation de ses idéaux que l’extrême-droite nationaliste a investi le web et considérablement développé sa présence sur le terrain cyber.
Qu’il s’agissent de chaînes Youtube propres au régiment, de groupes Facebook, VKontakte (VK) ou même de Twitter, le régiment Azov8 contrairement à d’autres groupes de volontaires expose sans ambiguïtés ses intentions, quitte à créer artificiellement un rapport de force avec l’Etat ukrainien qui ne dispose pas d’une stratégie de communication aussi poussée. Rares sont les exemples de liens aussi direct entre groupe actifs sur le terrain et groupes impliqués dans une stratégie médiatique par le web excepté il est vrai, dans l’évolution du djihad sur les terres syro-irakiennes. Par un rapide inventaire des différents médias cyber utilisés, on saisit qu’Azov a su parfaitement et très rapidement comprendre l’importance de ce terrain pour asseoir son influence, y diffuser ses représentations géopolitiques de l’Ukraine et opérer une véritable montée en puissance de son mouvement grâce aux plateformes que lui proposait le cyber-espace. Cette stratégie originale est donc au cœur de notre étude pour montrer que le cyber-espace est plus qu’un adjuvant technique. C’est une matrice de communication.
Le E-branding: construction et valorisation de l’image des bataillons de volontaires par Internet
Les moyens d’information modernes comme la télévision et Internet ont permis d’accroître la couverture médiatique des conflits depuis le XXème siècle. Aujourd’hui, couvrir la guerre n’est plus seulement l’affaire de quelques journalistes de guerre ou agences de propagande étatiques, mais bien celle de tous. L’apparition des smartphones multifonctions reliés aux réseaux Internet mobiles 3G/4G donne à chacun les moyens de capter et relayer l’information où qu’il soit et à n’importe quel moment. De ce fait, la construction de l’information devient beaucoup plus subjective et permet de bâtir sa propre représentation et son opinion en marge des médias traditionnels (Winston Churchill avait d’ailleurs de façon prémonitoire un jour déclaré avec cynisme et humour : « Il vaut mieux faire l’information que la recevoir ; il vaut mieux être acteur que critique »). De plus, par sa gratuité et ses plateformes multiples, Internet accroît le spectre de l’auditorat et donne plus d’écho aux informations.
Le conflit en Ukraine qui relève de la guerre hybride a été au cœur des mutations du secteur de l’information pour sa couverture9. Internet a été en effet pour de nombreux Ukrainiens un moyen de s’informer par leurs propres moyens, de quérir de façon autonome des nouvelles du front. Ils ont été à même de ne pas subir les informations données par les médias locaux et ou les médias russes proposant chacun leurs propres visions partielles et partiales du conflit.
Aux côtés des journalistes et médias conventionnels se sont greffés une quantité d’acteurs indépendants tels les blogueurs, les ONG et même les belligérants du conflit. Sortant du cadre traditionnel de l’information, ils ont proposé un regard neuf et alternatif, mais n’ont pas échappé au clivage des deux camps. Des deux côtés de la ligne de front se sont exprimés des points de vue et interprétations contradictoires au centre d’une « guerre de l’information ». La pluralité des acteurs et des enjeux rendent un peu opaque la lecture du conflit en Ukraine, pour ceux qui ne maîtrisent pas les outils nécessaires à la prise de recul et à la neutralisation du sensationnel, du scoop souvent manipulé, des « fake news » et autres sous produits de la propagande des forces armées (justification de la violence et discrédit permanent des ennemis10) et ils sont nombreux. Internet comme le rappelle Patrick Moreau reste en dépit de tout « un objet d’ignorance »11.
L’extrême-droite ukrainienne, avec son idéologie et sa symbolique n’a pas échappé à la bataille de l’information durant le conflit. Depuis leurs création, Azov, DUK ou Aïdar font l’objet de vives attaques de la part des organes de presse séparatistes (Donipress, FortRuss) et russes (Russia Today, Sputnik) avec plus ou moins de succès 12. Si le fait d’établir la véracité des informations recueillies à ce sujet reste difficile, l’impact de ces accusations comporte de nombreux risque pour le régiment d’autant plus que la véracité des faits est difficile à établir :
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Elles ralentissent les efforts des bataillons de volontaires dans la reconquête du Donbass et de ses populations. La guerre hybride imposée dans l’Est de l’Ukraine nécessitant comme le théorisait le Général américain Petraeus de « gagner les coeurs et les esprits », il est difficile pour un régiment comme Azov de rallier une population où les médias ravivent la mémoire collective qui les associe au IIIème Reich et ses atrocités.
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Elles décrédibilisent l’Etat ukrainien qui est accusé d’employer « des bataillons de représailles néo-nazis »13 contre les populations du Donbass. La révolution de Maïdan est ainsi associée à un putsch ayant porté au pouvoir une junte fascisante. La responsable d’Amnesty International Ukraine, Salil Shetty, elle-même exprime à ce titre ses inquiétudes quant à ce sujet : « L’échec de mettre fin aux abus et aux crimes de guerre suspectés des bataillons de volontaires risque de fortement aggraver les tensions dans l’est du pays et de décrédibiliser les intentions des nouvelles autorités ukrainiennes, de faire respecter et de renforcer l’état de droit »14
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Elles accroissent la tutelle exercée par l’Etat ukrainien sur ses bataillons et forces paramilitaires. Si les DUK du Secteur Droit ont jusque là échappé à cette tutelle, le régiment Azov, par son intégration aux Gardes frontières puis à la Garde nationale fut ainsi privé de sa liberté d’action (« Aujourd’hui nous sommes cantonnés dans nos casernes de Kiev et de Marioupol et nous attendons les ordres »15). L’Etat peut ainsi garder le contrôle sur le régiment et ses éléments radicaux et ainsi rassurer ses partenaires étrangers qui avaient pu témoigner de leur inquiétude quant à ces formations paramilitaires ultranationalistes. Elles peuvent remettre en cause le projet national d’Andriy Biletsky et du Corps National, et ainsi freiner les adhésions.
On comprend dès lors que l’extrême-droite ait essayé de réagir et de définir sa propre politique d’information et à investir massivement le secteur de l’information au sein du cyber-espace.
Contrairement à d’autres formations para-militaires et de volontaires, Azov s’est doté d’un vaste arsenal médiatique numérique ancré dans la modernité qui contribue à lisser son image sans pour autant atténuer son discours et ses représentations. Ainsi en l’espace de 3 années de conflit, Azov a pu acquérir grâce à ses cadres dirigeants issus pour la plupart du marketing et des PME du numérique16, une renommée sur Internet, faisant de lui le premier régiment ultranationaliste ukrainien a avoir développé une stratégie de E-branding.
Si l’E-branding relève avant tout du monde entrepreneurial, la technique s’applique tout autant à la stratégie de communication d’Azov et du Corps National. Concept large, l’E-branding définit les politiques et moyens permettant de valoriser la réputation d’une marque en ligne. L’E-branding a pour objectif de faire connaître une marque et de fédérer autour d’une communauté de marque, un public qui aura un rôle d’ambassadeur auprès d’un public beaucoup plus large.
Se considérant comme une force active au sein d’un conflit aujourd’hui gelé, le régiment Azov s’emploie donc à montrer qu’il est, dynamique, mobilisé, fort et riche en ressources. La sphère informationnelle est l’épicentre de cette démarche d’auto-évaluation positive. En effet, sur son site Internet Azov.com, le régiment ajoute quotidiennement du contenu comme des nouvelles du front et de ses actions politiques. Il possède aussi possède une chaîne Youtube Azov Media comptant près de 156 vidéos pour 29.203 abonnés (soient 16.476 .03 vues)17 dans laquelle il se met systématiquement en scène. Qu’il s’agisse de vidéos promotionnelles savamment chorégraphiées, mettant en valeur le caractère moderne et martial du régiment, ou de vidéos de type « warporn » plaçant le spectateur au coeur des opérations sur la ligne de front, l’objectif est d’impressionner et de communiquer sur les performances exceptionnelles du régiment18.
Les vidéos d’interview, de rencontres avec les habitants, donnent à Azov l’image d’un groupe au plus près de la population avec laquelle il interagit et qu’il soutient. Cette impression se trouve renforcée par l’outil vidéo, qui lui permet grâce à une mise en scène soigneusement poussée de projeter l’individu dans l’intimité du régiment et de son projet politique.
Bien qu’absent physiquement, l’individu n’échappe pas à l’embrigadement et s’identifie facilement au régiment et y adhère. On reconnaît là la proximité distanciée19. On y envoie donc un message fort sur l’ambition et la détermination, le volontarisme du régiment à plusieurs publics ayant des intérêts pas nécessairement divergents. Les principaux destinataires sont :
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l’Etat ukrainien principal soutien du régiment pour lequel ils combattent
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les ressources humaines du régiment qu’il faut rassurer et valoriser pour s’assurer de leur soutien
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les séparatistes pro-russes qui par ces images fortes doivent comprendre qu’ils font face à une force moderne et déterminée et s’organisent en fonction. Montrer une solidarité sans faille et exemplaire et instiller la peur à ces séparatistes conscients de la qualité et détermination de l’adversaire
Azov, au moyen de cette première composante de l’E-branding affiche clairement sa volonté de sculpter une nouvelle image, bien loin de l’unité paramilitaire potentiellement dangereuse aux dérives parfois décriées et dangereuses.
Le gommage des dérives du régiment constitue le second axe de l’E-branding azovien. Ici il ne s’agit pas seulement de créer une image et un discours de marque, mais bien de répondre à travers une « communication de crise » aux quelconques accusations faisant mention d’actes barbares ou d’intimidation et ce malgré l’image de simple force de dissuasion que souhaite conserver le régiment20.
La « communication de crise » est chargée de récapituler les actions accomplies avant et après la crise ce afin de tisser des liens de qualités avec les observateurs du conflit et afin de cicatriser les effets de turbulence d’une période sombre par ses implications et dérives. Jalonnée de turbulences où les ultranationalistes jouèrent un rôle (combat contre les Berkuts à Maïdan, incendie de la Maison des syndicats à Odessa, premières opérations dans le Donbass) l’histoire récente de l’Ukraine de 2014 à aujourd’hui, est marquée par une série de plaies qu’il lui faut cicatriser rapidement. C’est pour cela qu’Azov a développé un discours et des actions de « crise » pour clarifier son image et se montrer comme acteur assagi. Azov veut y apparaître engagé dans la mise en oeuvre de solutions claires aux problèmes de fond ukrainiens — la guerre dans l’ATO et la lutte sur le plan politique—.
L’étude de la page Vkontakte d’Azov nous permet ainsi de retracer les étapes de la communication de crise d’Azov.
Au début de la crise dans l’Est du pays, alors qu’Azov n’était encore qu’un groupe de volontaires épars d’une cinquantaine d’homme appelé Cornyj Korpus (Corps Noir), l’image renvoyée sur Vkontakte était celle d’un groupe d’action violent et inquiétant. Pour la plupart amateurs, les photos présentaient des hommes en noir, cagoulés et à l’armement disparate rassemblés sous les bannières au Wolfstangel inversé, symbole du nationalisme ukrainien extrême. Le groupe est représenté comme un groupe d’action évoluant sur le terrain : les photos du Cornyj Korpus mettent en scène des combattants à l’issue de leurs actions, leurs prises de guerre aussi bien matérielles qu’humaines et parfois un recours à des photos post-interrogatoires musclés sans ambiguité … Les rares commentaires sur ces photos sont égaux à la violence qui émane des photos. il est compréhensible que ces photos violentes aient pu susciter de vives émotions et inquiétudes en Ukraine comme à l’international pour leur caractère extrême, univoque : la violence à tout prix.
Au fil du temps cette tendance a fini par s’inverser. Les clichés sont beaucoup plus travaillés et moins pris sur le vif. Les équipements constitués à la hâte sont remplacés par du matériel de qualité et les visages se dévoilent, donnant plus d’humanité aux combattants. Afin de toucher davantage la population, les combattants dans leurs photos s’insèrent dans cette population. Ils y gagnent en légitimité et ils se décloisonnent en abandonnant leur caractère extrémiste irréductible et isolé en interagissant de plus en plus avec eux. On peut voir des combattants aux côtés de belles femmes ukrainiennes en habits traditionnels qui les enlacent, des femmes qui disent au revoir à leurs maris ou à leurs fils qui partent rejoindre le front. Les clichés montrent aussi des femmes seules avec des pancartes faites main avec des mots d’encouragement. De leur charme physique, et des sentiments exprimés émanent douceur et empathie pour Azov. Cela peut être incitatif et pousser les gens à les rejoindre, sinon les tolérer. On pourrait ainsi comparer cette démarche avec celle des babes21 dans les salons événementiels qui attirent le regard du spectateur sur un produit. Les enfants de ces femmes ainsi que les chats22 sont également utilisés par Azov pour renforcer l’émotion. Ceci a donc pour but de montrer que les Ukrainiens ne subissent plus le régiment, mais l’accompagnent bel et bien dans son effort de guerre, quitte à être instrumentalisés comme objets de propagande.
L’incorporation d’Azov au sein de la Garde Nationale confirmera et rendra plus mature encore le discours de crise du régiment. A partir de Septembre 2014 et particulièrement au mois de Janvier 2015, les combattants sont montrés en forces d’élite disposant du meilleur armement et de la meilleure discipline. Loin de faire une croix sur la mise en scène spectaculaire, de nombreux clichés sont pris lors des funérailles de combattants et des cérémonies néo-païennes. Des affiches numériques de propagandes militaristes sont éditées en faveur de la mobilisation de l’armée ukrainienne et du combat dans ATO. Azov est ainsi pleinement devenu une force conventionnelle au sein de l’outil militaire ukrainien.
Dans la continuité de ces transformations, la mise en avant de l’idéologie d’Azov est atténuée sans pour autant disparaître. A de nombreuses reprises lors de nos entretiens, nous avons posé une question : comment le régiment essayait-il de s’affranchir de l’imagerie néo-nazie inspirée par certains de ses membres ? Les réponses restaient quelques peu évasives mais on nous assurait qu’Azov aujourd’hui en sa qualité de force du ministère de l’intérieur les combattants idéologiquement subversifs étaient « filtrés » et « écartés »23.
L’évolution du logo d’Azov répond au même souci de neutralisation de l’image excessive du régiment. Vivement critiqué pour s’être approprié des symboles SS tels le Soleil Noir ou la rune Wolfstangel, Azov a vu ses pages Facebook fermées. Il a du revenir sur ces mises en cause et expliquer sa démarche :
« Au début notre insigne devait mettre en avant trois choses : l’Idée Nationale ukrainienne à travers les lettres « I » et « N » superposées, les racines et traditions ancestrales de l’Ukraine avec un symbole païen et enfin l’origine du régiment fondé à Berdyansk sur les rivages de la mer d’Azov. Bien que je ne partage pas ce choix, nous avons du revoir notre logo en l’inclinant horizontalement et nous affranchir de celui-ci pour créer celui du Corps National. Quoiqu’on puisse en dire, ce logo avait quelque chose d’unique qui nous permettait de nous démarquer des autres forces nationalistes mais aussi des terroristes»24
Selon l’historien et politologue originaire du Donbass, Konstantin Batozsky, le choix de la symbolique néo-nazie n’est que pure provocation à l’encontre des séparatistes du Donbass qui de leur côté surfent sur l’imagerie soviétique25.
Il ne s’agit pas d’un choix doctrinal mais de circonstance pour répondre au sectarisme des groupes ennemis. C’est une réaction quasi naturelle dans un conflit à la fois civil et idéologique mobilisant des références communes. Comme K.Batozsky, l’ancien responsable de la communication du régiment Alex Kovzhoon va jusqu’à parler d’un effet de mode propre à l’Ukraine qui n’aurait que peu de profondeur idéologique. Cela n’empêche pas Azov fréquemment, de se sentir obligé de démentir toute réutilisation de la symbolique néo-nazie. En guise de préalable sur son site, il est clairement mentionné : « En choisissant ce symbole (Wolfstangel) nous étions guidés par sa signification purement ukrainienne, et ce sans la moindre référence à la chevalerie allemande et encore moins à l’imagerie nationale-socialiste » 26
Le logo reste sujet à de nombreuses interrogations sur son origine, sa signification réelle, ses connotations.
Au delà de cette ambiguïté l’image pour Azov est désormais claire. Azov dans sa globalité se considère aujourd’hui comme une marque dont la notoriété sur Internet offre de nombreuses perspectives de reconnaissance et de développement pour son mouvement27. Le régiment a labellisé son image qui se trouve aujourd’hui protégée par les différentes lois sur la propriété intellectuelle en Ukraine. Aujourd’hui présenté comme une force intègre et respectable au sein de l’appareil militaire ukrainien et de la mouvance nationaliste, Azov grâce à ses efforts sur ce E-branding paramilitaire sur internet a pu très rapidement gagner en notoriété et crédibilité. En s’appropriant les différents outils et des stratégies de communication sophistiquées, il peut plus aisément structurer son mouvement et cibler ses adhérents.
Le cyber-espace ukrainien: un espace de recrutement et de formatage idéologique
Jugé « égalisateur », le cyber-espace est à l’image des sociétés humaines modernes riche en information, désinformation, convergence, conflictualité, jeux de pouvoir, jeux de dépendance. En navigant sur les différentes pages et sites, il est possible de saisir leurs diversités sur le plan culturel, linguistique, social, religieux et également politique – extrêmes ou non-.
La révolution du Maïdan et la guerre ont bouleversé les paradigmes de la politique ukrainienne et son fonctionnement. Avec pas moins de 122 formations politiques en Ukraine28, la difficulté pour l’ensemble des partis politiques est de s’exprimer dans les médias traditionnels comme la télévision et les journaux pour s’affirmer29. Le cyber-espace est donc dès lors investi par les différents partis comme lieu d’échange, de promotion de leurs idées et de débats, et ce pour favoriser la recomposition du paysage politique. Effectivement, c’est parce qu’il s’affranchit des différents limes linguistiques et géographiques et parce qu’il offre de nouveaux moyens de communication permettant les échanges, le relais de l’information, la convergence potentielle des opinions (Internet signifiant : Interconnected Networks, Réseaux interconnectés), que le cyber-espace devient un enjeu central dans la stratégie des partis politiques ukrainiens30. Azov et plus spécifiquement son parti Corps National, qui n’a à peine que 7 mois d’existence est qui en quête permanente de nouveaux adhérents et de relais à ses idées, ne pouvait qu’investir massivement le cyber-espace.
Contrairement à d’autres formes de médias, Internet permettait de mettre à disposition immédiate un ensemble d’informations, de différentes natures que tout individu peut s’approprier31. Par ce contact direct avec les internautes, les partis politiques peuvent aisément y développer une stratégie de conquête très personnalisée, très ciblée, réactive et savamment orchestrée. Il leur est facile par la suite de susciter l’envie de rejoindre leur mouvement et d’y militer. La jeunesse va devenir par le biais des réseaux sociaux le coeur de cible de la diffusion du message et du recrutement du Corps National sur Internet.
Anna Rogovchenko responsable de l’ONG European Youth Ukraine, a été durant l’entretien qu’elle nous a accordé d’une extrême clarté : la jeunesse fait partie de la frange la plus connectée de la population ukrainienne, elle est donc réceptive à toute propagande via ce media.
Nous avons pu constater au quotidien en Ukraine, où sans souffrir de la comparaison avec un pays occidental presque tout le monde surfe sur Internet (13 828 195). Extrêmement active sur les différentes plateformes de l’Internet ukrainien grâce aux smartphones et au Wifi gratuit, la jeunesse n’a cure du clivage culturo-linguistique Facebook/Vkontakte remis en avant pendant la révolution et la guerre32. Grâce aux plateformes, elle se forge elle même ses opinions, les lignes directrices de ses engagements, son positionnement dans le champ politique ukrainien. C’est donc dans cette optique, qu’Azov a multiplié les comptes Facebook et Vkontakte.
Toujours en quête de contenu renouvelé et d’actualité, les jeunes trouvent sur les pages Facebook et Vkontakte du Corps National une série de publications vidéos et photos mettant aussi bien le parti que le régiment en scène. Profondément concernée sinon bouleversée par la situation militaro-politique en Ukraine, cette frange de la population ukrainienne, faute de trouver des réponses dans les partis traditionnels, a été souvent séduite par la radicalité affichée du Corps National et ses actions, et par l’image intègre du régiment Azov33. Les publications du parti Corps national sont chaque jour perçues comme des informations levant le voile sur la réalité du conflit et de la crise politique ukrainienne. Azov en profite pour ne pas se présenter comme un parti traditionnel seulement animé par des ambitions électorales, réceptacle des mécontentements. Azov veut s’affirmer comme force politique alternative faisant face avec détermination et clarté aux différents problèmes issus de l’Ukraine post-révolutionnaire. Le Corps National/Azov cultive une image de cohésion sociale et offre la perspective aux jeunes qui le rejoignent d’évoluer dans un environnement qui épouse leurs valeurs et ce, en compagnie de leurs camarades. L’attractivité du Corps National auprès des jeunes sur les réseaux sociaux ne tire pas seulement bénéfice de l’image renvoyée. Elle tire également profit des différents mécanismes de partage et de diffusion de l’information, qui lui permettent ainsi de croître. Facebook offre la possibilité d’associer à l’image du texte et des commentaires encourageants (likes, commentaires, emoji) partagés à la chaine au sein d’un groupe d’amis voire au delà34. Cela donne la possibilité à chacun d’être (ou de se croire) acteur de la propagande du mouvement. Twitter à cet effet est utilisé, très discrètement par le Corps National alors que ce réseau a l’avantage d’être simple et concis. En l’espace de 140 caractères une idée forte peut-être ainsi relayée extrêmement rapidement35. Vkontakte quant à lui offre, l’opportunité de partager librement de la musique et des films. Les réseaux sont donc complémentaires pour promouvoir l’image d’Azov36. De plus, il n’est pas rare pour étayer leurs propos et bien sûr attirer les jeunes que le Corps National adjoigne à ses publications des playlists d’artistes en vogue issus de la scène rock et metal patriotique ukrainienne.
Les réseaux sociaux sont donc le principal moyen de connecter Azov et son parti à la jeunesse ukrainienne37. Ils sont également le moyen de le mettre au centre du processus de recomposition du paysage politique, de la propagande et de la création post révolutionnaires. La maîtrise des réseaux sociaux permet d’inviter la jeunesse quotidiennement à émettre des opinions, engager des débats d’ idées susceptibles de promouvoir le mouvement Corps National. Des groupes de travail sont organisés hebdomadairement avec les plus motivés afin de réfléchir aux différentes techniques de propagande idéologique et à leur diffusion—et parfois à leur contenu même si c’est plus rare—38. Lors de notre premier meeting à Lviv, alors que nous approchions de la mobilisation du 22 février 2017 pour la Marche de la Dignité, les responsables de la cellule du Corps National ont martelé l’importance de relayer les informations et d’inviter ses proches et amis à rejoindre le groupe Facebook/Vkontakte. Stepan Viniar l’un des organisateurs s’était d’ailleurs vanté auprès de nous, que grâce à cette technique, le groupe Facebook du Corps National de Lviv avait enregistré en une heure seulement une hausse de près de 50 personnes : autant de clics qui valaient reconnaissance et adhésion ! Le corps National tient donc une comptabilité scrupuleuse des retours du partage, des commentaires encourageants, des mentions « j’aime ». Il va au travers des discussions personnalisées avoir une sorte de casting de ses soutiens les plus fidèles, et de ceux qui sont capables de le rejoindre sans hésiter. Interrogés sur la manière dont ils avaient connu le parti, les adhérents de la cellule du Corps National à Lviv nous ont, en grande majorité confirmé à plus de 70% que c’était par l’intermédiaire d’un proche ou d’un ami via les réseaux sociaux39.
On ne s’étonnera pas de voir, une jeunesse assidue, très présente et participer donc à la structuration du mouvement azovien, en y apportant son expertise et sa créativité, en enrichissant le contenu des pages. Cette évolution loin d’être passive, est construite, et elle témoigne une fois de plus que le régiment devient parti en se donnant le moyen de capturer les énergies et les esprits, via le cyber-espace.
Un espace clé dans la compréhension des ambitions d’Azov et de ses structures
Au delà des modalités de recrutement, l’étude du cyber-espace est riche de renseignements sur l’image, l’identité et l’implication d’Azov dans le jeu politico militaire en Ukraine. Il est d’abord possible de dresser grâce à un recensement et une analyse plus fine, des échanges sur les réseaux, les profils des personnes dans la mouvance du régiment et du Corps National sur Internet. En dehors des jeunes nouvellement politisés, les followers sont des anciens combattants, la plupart ayant quitté le régiment à l’issue de l’intégration du bataillon aux forces du ministère de l’intérieur. D’âge moyen jeune (80% ont de 25 à 30 ans), ils se servent des pages pour prendre des nouvelles de leurs camarades restés dans le régiment, mais aussi de l’avancement du combat d’Azov tant sur le plan politique que militaire. L’éloignement du régiment ne signifie pas abandon de ses idées et de son combat. Les femmes, quoique inférieures en nombre par rapport aux hommes (32% dans les échantillons étudiés du 1er novembre au 1er décembre) sont également actives sur les différentes pages d’Azov. Comme dans les clichés de propagande du régiment décrits plus haut, leurs commentaires d’encouragement et le partage des posts sont au coeur de leurs activités sur la toile. Très peu de commentaires restent sans suite : le partage est de règle et le plus souvent endogène à la mouvance (89%). L’étude des amis communs circonscrit leur appartenance passée directe au régiment ou leur proximité immédiate ou leur affiliation à des mouvances nationalistes ukrainiennes. C’est dire que l’activité en termes de réseau est bornée par une solidarité idéologique et politique avec le régiment.
Mais contrairement à ce que pourrait laisser penser une page nationaliste comme celle d’Azov les commentaires prolixes sont assez rares et ne sont pas dans la surenchère haineuse. Au contraire, ils limitent souvent à de simples approbations quelque fois ponctuées d’encouragements et de slogans martelés à la gloire de l’Ukraine.
L’approche régionale et linguistique des pages du parti est fortement instructive quant aux zones où le Corps National s’affirme. Ainsi une étude approfondie des pages Facebook et VKontakte au premier trimestre 2017, nous a confortés dans notre tentative de qualifier le régiment et son parti, de nationalistes « est-ukrainiens » plus que ukrainiens. En effet, les pages recueillant le plus de followers (à l’exception des petites villes), sont les pages VKontakte des cellules du Corps National à l’Est de l’Ukraine (plus de 70% ). Pour autant, cette répartition géographique n’est pas figée, puisque depuis la création du parti Corps national on peut parler d’un véritable bond des pages des cellules ouest ukrainiennes. Une couverture nationale se met donc tardivement mais rapidement en place. Sur la soixantaine de résultats de recherche de l’item « НАЦІОНАЛЬНИЙ КОРПУС » sur VKontakte proposés aujourd’hui, l’écart de couverture est-ouest tend à se réduire petit à petit et ce, malgré encore une très légère majorité numérique des pages est-ukrainiennes (60%). Bien que la crise ukrainienne ait accru le clivage linguistique et donné aux nationalistes ukrainiens un nouveau moyen d’affirmer l’importance de la langue unique en Ukraine, les pages du Corps National restent cependant ouvertes aux commentaires en langue russe et cela peut paraître surprendre compte tenu des revendications et de l’intransigeance d’Azov sur le strict maniement de la langue nationale. Cette contradiction apparente, témoigne du comportement très politique d’Azov à partir de la création du Corps National mais aussi de la difficulté que ce groupe a de tourner le dos à ses racines russophones. L’action des modérateurs ne se concentre pas d’ailleurs comme on pourrait le croire sur la modération du russe, mais bien sur la modération des idées et surtout des provocateurs de tout type. De plus nos relevés à partir des évaluateurs de fréquentations tels Alexa nous ont montré que des internautes des pays voisins comme la Pologne (22%) ou la Russie (1% !) consultaient régulièrement ces pages, sûrement pour en savoir plus sur le mouvement azovien et ses ambitions par adhésion mais peut être aussi par méfiance.
L’autre fait marquant de notre analyse de la structure d’Azov au sein du cyber-espace est la place particulière qu’occupe son leader Andriy Biletsky. Chef du régiment et fondateur du Corps National, il occupe une place centrale dans les publications qui se trouvent largement partagées par la communauté cyber d’Azov. Il dispose également de sa propre page Facebook et site où sont relayées ses interviews et discours. On se situe là statistiquement et même politiquement à la frontière d’un culte du chef et de ses idées.
Enfin, les entretiens réalisés nous ont confirmé que contrairement aux autres partis politiques ukrainiens qui privilégient le contact avec la population en allant à leur rencontre sur le terrain en vue de construire leur programme local, Azov et le Corps National avaient tendance à privilégier Internet pour établir ce contact politique malgré leurs actions sur le terrain : le web devient l’outil prioritaire du recrutement de l’information et le combat de terrain y est relayé plus que dans des rencontres de terrain. Un militant responsable de la propagande – qui m’a tu son nom – reconnait sans détour cette démarche :
« Il nous arrive par moment de lancer des sondages sur les réseaux sociaux sur différentes questions afin d’identifier les problèmes de la population et ainsi y répondre de façon optimale. C’est un moyen simple et efficace qui nous permet ainsi de répondre à l’ensemble des problèmes et ce, en couvrant un territoire plus vaste »40
Force politique nouvelle ancrée dans la modernité, Azov tire donc aujourd’hui grandement partie du numérique pour développer l’image et l’importance de son mouvement. Loin d’apparaître comme une force politique peu encline à s’affranchir des moyens traditionnels de communication, le Corps National vise depuis sa création sur le cyber-espace et le numérique C’est là le coeur de ce mix tradition et modernité, dogmatisme et pragmatisme, savoir faire guerrier et faire savoir politique.
L’e-gouvernance: le pragmatisme au service d’un nouvel Etat ukrainien
« L’Ukraine actuelle n’est qu’un mensonge {…}, la bureaucratie trop lourde et inefficace dans la résolution des questions politiques et sociales du pays. Nous devons pouvoir dans les prochaines années nous affranchir de ces lourdeurs en proposant au peuple ukrainien des offices électroniques où il sera possible via Internet d’effectuer toutes les tâches administratives nécessaires »41
C’est en ces termes que le 14 octobre 2016, Denis Kotenko, cadre du Corps National définit la politique numérique du parti devant déboucher sur l’e-gouvernance de l’Ukraine.
Politique novatrice, l’e-gouvernance désigne « l’utilisation par le secteur public des technologies de l’information et de la communication dans le but d’améliorer la fourniture d’information et de service, d’encourager la participation du citoyen au processus de décision et de rendre le gouvernement plus responsable, transparent et efficace. »42. Encore peu utilisée dans les pays occidentaux, elle trouve toutefois un intérêt accru dans les pays de l’ex-bloc soviétique comme l’Estonie, qui après plusieurs années de domination et de lourdeur administrative a opéré un véritable virage à 180° en choisissant le modèle d’e-gouvernance. Ainsi, la vie de l’Etat y est connectée. Depuis presque dix ans maintenant, les citoyens estoniens ont la possibilité de remplir leurs fiches d’impôt sur Internet (94% des déclarations l’étaient en 2011!)43, de voter lors des différents élections nationales. Les travaux du parlement et du gouvernement sont immédiatement disponibles en ligne et chaque citoyen peut s’en emparer. Plus encore après l’e-Etat, l’Estonie veut évoluer vers l’e-citoyen avec déjà la carte d’identité numérique et un système d’échange de données numériques, X-tee, qui fêtent leurs 10 ans. Plus de 500 000 personnes utilisent leur carte d’identité numérique comme pièce d’identité ou pour donner une signature numérique.
En Ukraine, l’e-gouvernance reste en dépit de la croissance des NTIC dans la vie quotidienne méconnue. Un récent rapport de 2016 du Kyiv International Institute of Sociology pour l’E-governance and for Accountability and Gestion Group44 a d’ailleurs pointé le manque de connaissance des Ukrainiens sur ce sujet et la volonté timorée de basculer vers ce modèle. Sur un panel d’une centaine de personnalités issues de la société civile, du milieu de la recherche et de la vie politique 86% ne savaient pas ce que l’e-gouvernance signifiait, 79% ne savaient le définir correctement. D’autre part 47% des personnes interrogées préféraient encore ne s’adresser directement aux autorités compétentes que par le biais d’Internet, car il leur était plus facile d’obtenir ce qu’ils souhaitaient par un contact humain, chiffre surprenant dans un pays à réputation bureaucratique et sapé par la corruption endémique (douanes contournées, appels d’offre truqués, accélérateurs de formalités payants…)
Pour autant l’idée d’une e-gouvernance en Ukraine semble faire son chemin notamment chez la jeunesse et les fonctionnaires. Michail Titarchuk ministre adjoint au sein du « cabinet des ministres », une structure qui fait le lien entre les ministères et la présidence ukrainienne affirme même « Nous informatisons toutes les procédures administratives, afin que les fonctionnaires ne puissent plus exiger de bakchich. Nous instaurons aussi un système d’ordonnance électronique, pour empêcher les médecins de délivrer des certificats médicaux de complaisance, comme ils le font actuellement. Cette seule mesure devrait nous permettre d’économiser 70 millions d’euros (Novembre 2016)45. En améliorant la communication entre le gouvernement, l’administration et les citoyens, l’e-gouvernance en Ukraine permettrait une plus grande transparence dans les élections, le contrôle du budget, et mettrait fin à la corruption et ainsi replacerait le citoyen au centre de la vie politique ukrainienne. L’e-gouvernance est un idéal qui permettrait de tourner la page de l’époque soviétique dont le modèle de gouvernance paternaliste et vertical du haut vers le bas a montré ses limites. On ne souhaite donc plus reproduire le schéma administratif d’antan : « ma voix ne compte pas »46 .
Parti inscrit dans un processus de reformation de l’Etat sur des bases assainies de toute corruption et désoviétisées, le Corps National d’Azov ne peut que naturellement se prononcer en faveur des NTIC et de l’e-gouvernance. « L’e-démocratie étant un instrument effectif pour comprendre ce que la société souhaite réellement et quels sont ses besoins »47. Azov qui se revendique au service de la nation ukrainienne, souhaite donc utiliser les outils que lui offre l’e-gouvernance pour détacher l’Ukraine des influences néfastes qui la menacent et la gangrènent. Quoique peu développée dans son programme qui est avant tout dirigé vers la renaissance du sentiment patriotique et de la puissance ukrainienne, le Corps National en parti issu d’un groupe paramilitaire, a donc pour originalité par rapport à ses concurrents de proposer une alternative numérique en vue de redéfinir les rapports entre l’Etat et le peuple. Il s’inscrit dans une démarche qui a déjà des adeptes comme ceux qui suivent la plateforme citoyenne Nacha Varta48, et il est l’un des nombreux moyens de légitimer l’action politique d’Azov. La quête de cette modernité technologique ne nuit en rien au respect des traditions, mais est un élément de plus pour retrouver la grandeur et l’indépendance d’une Ukraine efficace, libérée des fléaux que le communisme a légués.
Par son étude, le terrain cyber nous a permis d’identifier un ensemble de dynamiques, et stratégies développées par Azov pour renforcer son image et asseoir son développement au sein d’un paysage politique ukrainien éclaté. Extrêmement profuse et dynamique et ce malgré sa jeunesse et la taille encore petite de son parti, la stratégie digitale d’Azov reste un modèle à part chez les bataillons de volontaires ukrainiens qui en dépit de leurs revendications politiques n’ont jamais atteint un tel stade dans la communication de leurs idées. Grâce au cyber-espace, Azov a su cibler un public jeune, réceptif et le séduire en proposant à travers l’utilisation des réseaux sociaux l’image d’un parti alternatif aux ambitions politiques d’alternance.
Le but affiché est bien de faire de l’Ukraine une puissance 2.0. Un tel projet s’inscrit au départ dans les revendications du Maïdan : la transparence de la vie politique et de ses élites. Il est cependant limité, sinon bloqué notamment en terme d’infrastructures et d’éducation. D’autre part, le contexte récent ayant démontré que des Etats comme la Russie pouvaient aisément déstabiliser les institutions étatiques d’un pays par les nouvelles technologies, comment Azov pourrait-il se protéger d’une telle menace ? La majeure partie des serveurs du régiment et de son parti se situent à San Francisco49, façon a priori de se protéger mais au regard des piratages et des moyens de désinformation actuellement mobilisés notamment en Russie, Azov ne peut raisonnablement être totalement à l’abri d’une cyber attaque. Ses responsables n’ont jamais fait état de ces menaces ou du moins ne les ont pas intégrées dans leur raisonnement. C’est là une vulnérabilité potentielle qui n’éclipse pas toutefois la performance que l’outil cybernétique offre au régiment.
1 ENCEL, Frédéric in Géopolitique du Printemps Arabe Puf 2014 qui s’interroge p 85 sur le rôle de Facebook et Twitter « généraux de génie ou simples estafettes »?
2 Tribune de l’air et de l’espace n°32 : Réflexions sur le cyber : quels enjeux ?juillet 2015, Centre d’études stratégiques aérospatiales
3 Ukraine : les chiffres clés de l’Internet, http://www.journaldunet.com/, consulté en mai 2016
4 KUKSENOK, Katie, Hope, Lies and the Internet: Social Media in Ukraine’s Maidan movement ,CMDS Working, Paper 2014.2, Center for Media, Data and Society, School of Public Policy, Central European University, Novembre 2014
5 GUILLEMOLES A., Ukraine le réveil d’une nation, les Petits matins,Paris, 2015, 211pages
6 PAKHARENKO, Glib, Cyber operations at Maïdan : a first hand account, NATO CCDCOE publications, Tallin, 2015, 65 pages
7 MORELLI Anne., Principes élémentaires de propagande de guerre, Labor, 2006, Loverval, 154 pages
8 Fondé le 5 mai 2014 à Berdiansk sur la base du mouvement paramilitaire Patriot Ukraïny, le régiment Azov est une force de près 4000 hommes d’inspiration ultra-nationaliste. Ayant rejoins la Garde Nationale le 12 Novembre 2014 , il fonde le 14 octobre 2016 son parti, le Corps National —Національний Kорпус/Nacional’nyj Korpus—
9 Abstract de la conférence : Propagande à la Une – Regard sur la couverture médiatique du conflit opposant l’Ukraine à la Russie par Ricardo Gutierrez, Secrétaire général de la Fédération européenne des Journalistes, Maître de conférences à l’ULB, Membre effectif du Conseil de déontologie journalistique, 2 octobre 2014
10 MORELLI Anne., Principes élémentaires de propagande de guerre, Labor, 2006, Loverval, 154 pages
11 op.cit page 129 in MOREAU Patrick, L’extrême-droite et Internet : techniques et politique, Pouvoirs n°87 – L’extrême droite en Europe – novembre 1998 – p.129-144
12 Dans une vidéo postée en Avril 2015, on y voyait des membres du régiment Azov menacer les Pays-Bas suite à la non ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine. Le site stopfake.org finira quelques jours plus tard par démontrer qu’il s’agissait d’une vidéo tournée par des activistes pro-russes.
Behind the Dutch Terror Threat Video: The St. Petersburg “Troll Factory” Connection, http://www.stopfake.org/, consulté en octobre 2016
13 Termes attribués à Xavier Moreau dans son ouvrage Ukraine : pourquoi la France s’est trompée, Editions du Rocher, Paris 2015, 185 pages. Mais aussi à ses nombreux articles sur la guerre en Ukraine
14 Ukraine : abuses and war crimes by the Aidar volunteer battalion in the North Luhansk region, http://www.amnesty.org/, consulté en octobre 2016
15 Entretien informel avec Anton, combattant au sein du régiment Azov à la base ATEK
16 Information tirée de l’organigramme du Corps National sur http://nationalcorps.org/
17 La chaine de l’armée ukrainienne comptant 45 389 abonnés et 43 404 709 vues bien que lancée plus tôt le 26 juin 2012. Celle du ministère de la défense compte aujourd’hui 4 712 abonnés et 2 900 722 vues
18 Entretien avec Alex Kovzhoon à Kiev, février 2017
19 OSTRIISCHOUK O., Les Ukrainiens face à leur passé, vers une meilleure compréhension des clivages Est/Ouest, Peter Lang, Bruxelles, 2013, 394 pages
20 MORELLI Anne., Principes élémentaires de propagande de guerre, Labor, 2006, Loverval, 154 pages
21 Argot anglais désignant une belle femme
22 Le chat est une figure d’Internet extrêmement populaire qui permet d’attirer aisément le public
23 Entretien avec Sviatoslav Siriy, responsable du Corps National à Lviv et Iaroslav Solodukha biker associé à Azov
24 Entretien avec Alex Kovzhoon, ancien responsable press du régiment Azov et du Corps National à Kiev, février 2017
25 Entretien avec Konstantin Batozsky à Kiev février 2017
26 The central figure of « AZOV’s » emblem originates from the ancient times, too. The so-called sign of Hook was extremely popular among the Volyn nobility and Cossacks and was one of the most used in the Ukrainian military tradition symbols. According to the modern interpretation of patriots of Ukraine, this is a monogram and intersection of two letters – « I » and « N » – which symbolize our common motto – « Idea of the Nation. » The letter « N » in the monogram is written in the old-style Ukrainian language (it had been written in this manner in the ancient Cossack documents before the times of Peter’s spelling reform). While choosing a symbol, we were guided by its exclusively Ukrainian meaning, without reference to the German medieval heraldry and especially the symbolism of National Socialist Germany. For us, the « Idea of the Nation » is only the Ukrainian, Cossack symbol, so do not pay attention to those who want to find in it some other mysterious meanings ABOUT “AZOV”, http://azov.press/, consulté le 12 octobre 2016
Pour autant après quelques recherches sur le sujet, il a été impossible de retrouver une quelconque trace de ce symbole chez les Cosaques ukrainiens.
27 Entretien avec Alex Kovzhoon, à Kiev, février 2017
28 Entretien avec les responsables communication du parti UKROP à Lviv, février 2017
29 Entretien avec Nazar Kravchenko à Kiev, février 2017
30 KUKSENOK, Katie, Hope, Lies and the Internet: Social Media in Ukraine’s Maidan movement ,CMDS Working, Paper 2014.2, Center for Media, Data and Society, School of Public Policy, Central European University, Novembre 2014
31 MOREAU Patrick, L’extrême-droite et Internet : techniques et politique, Pouvoirs n°87 – L’extrême droite en Europe – novembre 1998 – p.129-144
32 KUKSENOK, Katie, Hope, Lies and the Internet: Social Media in Ukraine’s Maidan movement ,CMDS Working, Paper 2014.2, Center for Media, Data and Society, School of Public Policy, Central European University, Novembre 2014
33 Entretien avec Anna Rogovchenko à Kiev, février 2017
34 KUKSENOK, Katie, Hope, Lies and the Internet: Social Media in Ukraine’s Maidan movement ,CMDS Working, Paper 2014.2, Center for Media, Data and Society, School of Public Policy, Central European University, Novembre 2014
35 Ibid
36 Entretien avec Sviatoslav Siriy à Lviv, février 2017
37 Entretien avec Alex Kovzhoon à Kiev, février 2017
38 Observation faite lors de notre premier meeting du Corps National à Lviv en février 2017
39 Echanges informels avec des militants du Corps National à Lviv, février 2017
40 Entretien avec le responsable de la propagande de la cellule du Corps National à Lviv, février 2017
41 Виступ делегата «Національного корпусу» Дениса Котенко «Шкіпер». Презентація програми партії, https://www.youtube.com
42 E-gouvernance, http://portal.unesco.org/, consulté en mai 2017
43 E-stonie : le paradis balte du numérique, http://hajde.fr/, consulté en mai 2017
44 eDemocracy in Ukraine: Citizens’ & Key Stakeholders’ Perspectives, eGovernance for Accountability and Participation (EGAP) Program (2015-2019), Kiev, 2016, 74 pages
45 L’Ukraine gangrénée par la corruption, http://www.lexpress.fr/, consulté en mai 2017
46 eDemocracy in Ukraine: Citizens’ & Key Stakeholders’ Perspectives, eGovernance for Accountability and Participation (EGAP) Program (2015-2019), Kiev, 2016, 74 pages
47 Entretien avec Nazar Kravchenko
48 Entretien avec les responsables communication du parti UKROP à Lviv, février 2017
49 Information trouvée grâce au site http://www.alexa.com/