Par Valérie Geneux
Le 2 mars 2018 s’est tenu à Unimail (Genève), une conférence-débat ayant pour sujet l’activisme féministe au Kosovo. Deux intervenantes de nationalité kosovare ont chacune pris la parole. L’auteure de cet article expose les différents propos qui se sont tenus durant cette conférence et s’est librement autorisée à l’ajout de précision et d’informations supplémentaires.
Nazlie Bala, défenseure des droits humains au Kosovo, est active dans la lutte pour les droits des femmes violées durant la guerre au Kosovo et se bat actuellement pour la reconnaissance du statut de victime pour ces dernières ainsi que pour l’obtention d’une indemnisation.
Elona Kastrati, activiste politique au Kosovo, se considère comme féministe. Ses actions se déroulent au Kosovo et en Allemagne. Elle se bat contre le sexisme et pour l’accès à l’information pour tous concernant la santé et l’éducation sexuelle.
Un féminisme existerait-il au Kosovo ? La question est posée par N. Bala au début de son intervention en relevant que la guerre au Kosovo a marqué un grand changement dans les rapports hommes/femmes ainsi que sur la question générale de la femme et de ses droits. Son action et sa volonté, elle les tient de sa mère qu’elle considère comme une activiste d’avant garde de part ses actions car cette dernière avait des comportements féministes de façon inconsciente. De ce fait, elle souligne la solidarité féminine durant le règne de Tito qui instaura un régime de type communiste dans toute la Yougoslavie. N. Bala considère que la solidarité entre les femmes représente une forme de féminisme en soi.
Durant la guerre, les femmes se sont organisées notamment pour apporter de l’aide aux populations déplacées et à l’UÇK, l’armée de libération du Kosovo. Des femmes ont aussi été soldats en se battant aux côtés des hommes. Pour la conférencière, tous étaient égaux dans le combat pour la libération du pays. Néanmoins, une fois la guerre terminée, les femmes n’ont pas été élevées en héros contrairement aux hommes. L’État et le peuple ont tout simplement omis de célébrer la contribution des femmes durant la guerre. En effet, il n’y a pas de commémoration faite aux femmes ayant joué des rôles significatifs durant cette période.
N. Bala peut témoigner de son expérience personnelle puisqu’elle a fait partie de divers mouvement durant les années 1990. Elle a en premier lieu été membre d’une association luttant contre l’analphabétisation et contre les inégalités entre hommes et femmes au Kosovo. Puis, elle s’est penchée sur la lutte pour le droit des femmes et des enfants. N. Bala est la première ambassadrice de la situation des femmes au Kosovo et qui la dénonce. Par sa position, elle se doit d’exposer les problèmes auxquelles les femmes font face ainsi qu’avancer des propositions d’avenir.
Après la guerre, les victimes n’ont pas été reconnues en tant que telles par le nouvel État kosovar et n’ont donc jamais été indemnisées pour les torts qu’elles ont endurés. Le statut de victime de guerre ne leur a jamais été accordé. Si les victimes souhaitent obtenir le statut auquel elles ont droit, elles doivent passer un examen médical afin de prouver qu’elles ont bel et bien subi un viol. De plus, ces femmes violées ont souffert et souffrent encore d’une stigmatisation de la part de la société menant à certaines formes d’isolation. En effet, la plupart des maris de ces femmes les ont quittés par peur de la honte et du regard d’autrui, les laissant seules à devoir subvenir aux besoins de la famille et des enfants. Du jour au lendemain, elles se sont retrouvées mères célibataires dans la précarité.[1] Les retombées économiques négatives pour toute la société kosovare paraissent aisées à cerner. Ainsi, dix huit ans après la fin de la guerre, les victimes subissent une double peine : celle d’avoir été violées et celle d’être mises aux bancs de la société. Une certaine forme de malveillance s’abat sur ces femmes qu’on accuse parfois d’avoir été violées, comme si la faute du crime leur incombait. La question « pourquoi as-tu été agressée ? » est récurrente auprès de victimes comme si elles étaient par elles-mêmes les causes de l’agression. Aujourd’hui, le défi pour la société civile est de sortir de cette marginalisation des victimes afin de leur apporter un véritable soutien familial et sociétal.
En se positionnant en tant que défenseure des ces femmes, N. Bala s’est heurtée aux difficultés auxquelles la société kosovare fait face. Elle raconte l’anecdote où, le 20 mars 2013, elle a retrouvé écrit sur sa porte « Ne protège pas la honte. Sinon on te tueras ». Le statut de victime est donc indésirable et c’est d’ailleurs pour que ce dernier soit reconnu et que cette catégorie de victime ne tombe pas dans l’oubli général que N. Bala se bat au quotidien, parfois au périple de sa vie.
En 2014, le gouvernement kosovar a inclus dans la loi la catégorie « victimes de viols » à celles « des anciens combattants de l’UÇK, des invalides de guerre, des victimes civiles et leurs familles »[2] prévoyant ainsi des aides financières pour ce nouveau groupe. Néanmoins, bien que la théorie ait été écrite, aucune mesure concrète n’a été entamé. C’est seulement en 2017 que le gouvernement kosovar a pris la décision de consacrer un budget pour cette catégorie de victime. Par conséquent, elles reçoivent le statut de victime de guerre et une reconnaissance juridique ainsi que des droits.[3]
En janvier 2018, un recensement a été lancé afin de comptabiliser le nombre de ces victimes durant la guerre afin qu’elles obtiennent un droit de compensation. Fin février 2018, soixante formulaires étaient déjà remplis bien que plus de deux mille soient présumées victime d’agressions sexuelles.
N. Bala affirme qu’il n’y a eu aucune condamnation de Serbes pour ce genre de crime, qu’il est très difficile d’obtenir des témoignages et des documents officiels. Le processus de pénalisation des auteurs de ces crimes semble aussi indispensable que le soutien et l’aide au victime, dans un but de condamnation de ces actes.
A la question « y-a-t-il un mouvement balkanique global œuvrant pour toutes les femmes victimes de violences sexuelles durant la guerre en ex-Yougoslavie ? », N. Bala reconnaît que bien qu’il y ait une coopération entre diverses organisations notamment en terme de partage de connaissance et d’expérience sur la reconnaissance des statuts de victime, il manque un pas à ce niveau entre les différents États et différents organismes pour les victimes, afin de reconnaître un seul et unique mouvement pour les droits des victimes de violences sexuelles pendant la guerre.
La deuxième intervenante, Elona Kastrati, se bat aussi pour la reconnaissance des droits des femmes et la non discrimination du genre féminin mais d’une toute autre manière. Née en Allemagne de parents kosovars réfugiés, E. Kastrati a commencé ses actions en 2015 en collant un peu partout à Karlsruhe en Allemagne puis dans sa ville natale kosovare des serviettes hygiéniques parés de slogans féministes du type «Imaginez si les hommes étaient aussi dégoûtés du viol que des menstrues».
Son but : démystifier les menstruations féminines car au Kosovo avoir ses règles est considéré comme honteux ; l’intervenante relève que c’est d’ailleurs pour cela que les vendeurs cachent à l’aide de journaux en papier les paquets de serviettes hygiéniques qu’une cliente achète. Les vendeurs, qu’ils soient homme ou femme, vont même jusqu’à féliciter la cliente qui achète des serviettes hygiéniques plutôt que des tampons car ces derniers sont la preuve que la femme a perdu sa virginité et a des relations sexuelles contrairement à l’utilisation de serviettes hygiéniques.
Son action, dont les visées sont bel et bien provocatrices dans des villes jugées conservatrices, a rencontré un énorme succès et a été traduit dans plus de cinquante langues et diffusé en masse sur internet. Les retours qu’elle a reçu ont été majoritairement positifs et elle remarque que les commentaires désobligeants voire agressifs venaient uniquement de la gente masculine. Par cette action « coup de poing », E. Kastrati est devenue une figure féministe importante au Kosovo, ce qui lui a valu de recevoir des mesures particulières pour sa sécurité lors de son année de bénévolat dans son pays natal.
E. Kastrati a consacré la suite de sa conférence à exemplifier certains problèmes de mentalité de la société civile sur les conditions et les droits des femmes au Kosovo. Ainsi, dans un contexte où il est difficile de parler de sexualité, elle rappelle que le 8 mars n’est pas la célébration de la journée de la Femme mais celle des mères. Des journées de prévention contre le sida sont organisées durant lesquelles sont enseignés les effets de la maladie mais aucun moyen de prévention n’est expliqué au public visé. E. Kastrati s’est d’ailleurs étonnée qu’aucun préservatif n’a été distribué ce jour là alors que les organismes en avaient reçu plusieurs cartons, preuve que le thème de la sexualité reste encore tabou dans une société kosovare conservatrice et patriarcale.
Il reste encore un long chemin à parcourir pour N. Bala, E. Kastrati et la société kosovare afin de reconnaître et respecter les droits des femmes. Les mentalités changent doucement grâce notamment au courage et à la volonté de femmes mais aussi d’hommes ayant la même force et la même détermination que N. Bala et E. Kastrati.
[1] ONU Femmes, (En ligne), site consulté le 23 mars 2018, http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2017/10/feature-kosovo-legal-recognition-of-war-time-sexual-violence-survivors
[2] Radio Slobodna Evropa, « Kosovo: toujours pas de justice pour les victimes de viols de guerre », in Courrier des Balkans, (En ligne), site consulté le 23 mars 2018, https://www.courrierdesbalkans.fr/kosovo-et-victimes-de-viol
[3] ONU Femmes, (En ligne), site consulté le 23 mars 2018, http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2017/10/feature-kosovo-legal-recognition-of-war-time-sexual-violence-survivors