Par Nikita Taranko Acosta
L’interminable Guerre dans le Donbass et la crise politique en Ukraine, les accusations de dopage des athlètes russes aux Jeux Olympiques juste une année avant la Coupe du Monde de la FIFA qui se tiendra en Russie, les guerres de sanctions entre l’Occident et la Russie, les exercices militaires de plus en plus fréquents dans la région baltique et la croissante concentration des forces de l’OTAN et de la OTSC autour de la région, ainsi que dans la mer Noire et dans la mer Caspienne, les expulsions des diplomates et fermetures des ambassades et consulats américains au Bélarus et en Russie et vice-versa, la flagrante politisation du concours de l’Eurovision, les tensions autour des questions énergétiques (Nord Stream II et corridor du Sud), l’enjeu de la Syrie et les querelles au Conseil de Sécurité de l’ONU, mettent en évidence la menace sur la sécurité globale, qui concerne notamment l’Europe Centrale et Orientale. Le Bélarus joue à nouveau (comme en 2014) le rôle de médiateur entre les pôles opposés afin d’éviter davantage l’escalade des tensions qui rappellent la période de la guerre froide.
Les grandes puissances, appelées à être des garantes fiables de la stabilité, ne peuvent aujourd’hui parvenir à un avis commun sur aucune question sérieuse.
D’une part, elles parlent de l’importance de préserver l’architecture de la sécurité moderne, d’autre part, elles ne laissent aucune possibilité pour contourner le droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Comment faire face alors à toutes les menaces et tensions de plus en plus visibles ?
C’est dans ce contexte d’incertitude et crainte de non-retour que surgît le Forum Annuel du Dialogue de Minsk en 2015 et dont le sujet de cette année concerne la « recherche de la sécurité en Europe Orientale ». Il semble que les autorités biélorusses souhaitent réitérer leur compromis à veiller pour le dialogue européen, proposant même à dénommer ce Forum « Helsinki 2 » ou tout simplement « Processus de Minsk » étant donné sa haute importance pour la sécurité collective de la région et de l’Europe en général. Mais l’intérêt de Minsk pour la question est-il légitime ou est-ce juste un
moyen d’attirer l’attention internationale et accroître son prestige à l’extérieur ?
Regardons la situation géographique du pays pour répondre à la question. Le Bélarus est au cœur de l’Europe Orientale, ayant frontière avec la Lituanie, Lettonie, Pologne, Ukraine et Russie. Il se trouve en plus au carrefour de la sphère d’influence européenne et russe et maintient, de ce fait, des rapports plus ou moins neutres avec tous ses voisins (ce qui n’est pas le cas pour les relations bilatérales entre ces pays) malgré son attachement économique, historique et culturel à la Russie. La crise économique dans l’UE, l’éloignement de la Russie du marché européen et son intense militarisation ainsi que sa croissante implication dans les conflits externes, tout comme la crise socio-politique et la Guerre en Ukraine ou encore la montée du nationalisme virulent en Pologne, rendent le Bélarus particulièrement sensible. En effet, il voit souvent toutes ces tendances négatives régionales rebondir dans son territoire qui « finit par payer le prix le plus élevé », a déclaré Loukachenko lors de l’ouverture de la deuxième journée du Forum le jeudi 24 mai 2018. Ces incessantes escalades des tensions « enflamment » automatiquement les menaces à la sécurité et compliquent le développement économique du pays. Si l’on rajoute à cela l’amère expérience historique durant laquelle le pays est devenu à plusieurs reprises victime de la confrontation des grandes puissances et a vu son territoire se transformer en champ de bataille, on aperçoit son intérêt vital à prévenir un nouveau grand conflit dans la région.
L’objectif du Forum est de mener un dialogue ouvert et constructif « à grande échelle entre les principaux experts de l’Europe Orientale, de l’Union européenne, de la Russie, des États-Unis et de la Chine », a fait remarquer Vladimir Makëi, le ministre des Affaires étrangères du Bélarus, après avoir confirmé la participation de 350 invités venus de 40 pays. Parmi les personnalités les plus remarquables on trouve l’actuel secrétaire général de l’OSCE, Thomas Greminger, le secrétaire général adjoint de l’OTAN, James Appathurai, l’ancien secrétaire général de l’Organisation du traité de sécurité collective, Nikolaï Bordiouja, le directeur général du Conseil des États de la mer Baltique, Maïra Mora, ou encore l’ex-présidente de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, Christine Muttonen.
Quant aux sujets qui seront traités tout au long de la semaine à Minsk, on peut repérer les suivants : « Qu’est-ce qu’un changement de l’ordre mondial signifie pour l’Europe Orientale ? », « Regard sur la « boîte noire » de la sécurité de l’Europe Orientale », « Transnistrie : jusqu’à quel point le conflit est-il gelé ? », « Les accords de Minsk et la mission de maintien de la paix dans le Donbass : mission (im) possible ? », « Quelles leçons peut-on tirer des précédentes tentatives de modernisation du système de sécurité européen ? », « Comment faire de l’Europe Orientale une région de coopération plutôt que de confrontation ? », « L’enjeu des pays ‘du milieu’, ou comment arrêter d’être une zone de division ? », « L’impact de la guerre des sanctions entre la Russie et l’Occident sur la région de l’Europe Orientale », « Espace économique commun de Lisbonne à Vladivostok: fantasme ou réalité future ? ».
Il est évident que la plupart de ces sujets sont soumis au gré de la volonté politique et que le contexte du Forum ne permettra certainement pas d’arriver à des accords notables ni à l’unanimité sur les stratégies à déployer dans la région, surtout dans le contexte actuelle de dichotomie Est-Ouest européenne accentuée depuis les années 2000. Néanmoins, le président biélorusse a rappelé que malgré l’allégeance politique et les intérêts nationaux de chaque État de la région, « toute personne saine d’esprit confirmera qu’aujourd’hui il n’y a pas de problème plus important que de préserver la paix et d’assurer son développement durable ». Il a ajouté ensuite que l’Europe peut et doit montrer l’exemple en commençant par atténuer les problèmes qui existent déjà entre l’Est et l’Ouest en plus « d’adapter des mesures efficaces pour anticiper toute animosité ».
Ainsi, quel que soit le sort du « Dialogue de Minsk », il paraît une initiative pertinente d’autant plus qu’il n’existe pas vraiment d’espaces de discussion à grande échelle dévouées à la sécurité et coopération en Europe Orientale. De plus, les experts que l’on voit dans les médias et dont les constats arrivent donc aux masses, passent la plupart de leur temps à se faire concurrence dans les accusations mutuelles plutôt que de rechercher un terrain d’entente, ce qui ne fait qu’augmenter le degré de tension. Une discussion complète sur le présent et l’avenir de la région ne se produit donc pas.
Enfin, comme a souligné, Evgueny Prégermant, le chef de l’initiative d’experts « Dialogue de Minsk », ce Forum, qui a l’avantage d’être neutre et non-gouvernemental, « devrait servir à construire une image globale dans laquelle il y aurait de la place pour tous ceux qui voudraient participer à la discussion sur la sécurité collective ».