Par Nikita Taranko Acosta
Le chef de l’État russe s’est rendu à Minsk le mardi 19 juin 2018 pour assister à une réunion du Conseil suprême de l’État de l’Union. Il s’agit du sommet annuel qui réunit les chefs d’États russe et biélorusse avec leur respectives délégations. Le but est d’approfondir le projet d’union en signant de nouveaux accords de coopération, en levant les différentes restrictions ou tout autre empêchement à cet égard. Comme chaque année, des questions pointues et des sujets jugés de haute importance par les représentants du Conseil suprême de cet organisme supranational ont été abordées. Pourtant, comme il est déjà arrivé les années précédentes, la plupart des enjeux fondamentaux pour les citoyens ne furent pas réellement traités par les chefs d’États ; en tout cas, aucun consensus décisif ne fut acquis concernant les questions de contrôles frontaliers — résumés sporadiquement depuis le flux des migrants illégaux de l’Ukraine en Russie par le Bélarus — ou les occasionnels contrôles douaniers des marchandises biélorusses (notamment les produits d’exportation agricoles et laitiers), les débats sur l’annulation des frais de roaming ou encore l’habituel dilemme concernant l’union monétaire toujours inachevée. Or, le président russe a néanmoins effectué le voyage à Minsk, ce qui a suscité des critiques et remarques négatives par une partie de l’opinion publique en Russie car c’est justement le 19 juin 2018 que la Russie jouait le match de football contre l’Égypte dans la ville natale de Vladimir Poutine, un événement majeur pour la Russie où la présence du leader du pays semble presque aussi indispensable que la victoire de l’équipe russe qui permettrait au pays d’accéder aux huitièmes de finale pour la première fois dans l’histoire.
Des nombreux politologues et analystes des deux États ont essayé d’expliquer la véritable raison de cette visite faisant comprendre aux populations que le sommet annuel n’est pas qu’une formalité, mais une plateforme unique dans son genre et qui doit servir d’exemple pour toutes les autres républiques ex-soviétiques. Indépendamment des arguments et analyses offerts, ils coïncident tous en soulignant que Loukachenko et Poutine se voient déjà suffisamment plusieurs fois par an (c’est seulement les rencontres de Poutine avec Nazarbaïev, le président du Kazakhstan, qui gagnent en nombre de fois) pour que toutes les questions dites pressantes soient reportées à une réunion dont le timing serait moins contraignant pour le président russe. L’argument d’urgence ou d’importance en termes pratiques ne peut justifier ainsi la décision controversée de Vladimir Poutine. Il paraît évident que d’autres facteurs sont en jeu.
« Demain, il [Poutine] sera à Minsk, (…) où il y a beaucoup de travail à faire. (…) Il ne pourra probablement pas suivre le match en direct, mais il verra les moments les plus saillants et sera sans aucun doute intéressé par le déroulement du match », a déclaré le porte-parole du Kremlin pour rassurer et en même temps pacifier les fans. Ensuite, Poutine a fait savoir à la presse que le Bélarus est « notre allié le plus proche car c’est seulement avec lui que l’on a signé un accord de l’État de l’Union en 1996 » lorsque Eltsine et Loukachenko ont décidé de « récupérer l’union » en quelque sorte perdue après la désintégration de l’URSS. Cet accord est le fruit des grands sacrifices effectués aux cours des années 1990 pour le bien-être des générations futures, estime le président russe. Il a toutefois reconnu en répondant à la question d’un journaliste que l’État de l’Union n’est effectivement pas la seule plateforme de coopération qui existe aujourd’hui dans l’espace post-soviétique, il y en a d’autres à vocation plus large et étant plus ambitieuses, comme l’UEEA ou l’OSTC. Cependant, c’est bien sur la base de l’État de l’Union entre la Russie et le Bélarus que ces autres projets se sont construits et ont pu s’approfondir avec le temps dans une plus ou moins large mesure.
Le dirigeant biélorusse a déclaré pour sa part que la visite de son homologue fut un véritable succès, comme chaque année. Il a notamment remarqué que « les problèmes controversés qui surgissent de temps en temps dans les relations russo-biélorusses sont traditionnellement résolus dans un esprit de compréhension mutuelle et de compromis lors du sommet du Conseil suprême de l’État de l’Union » grâce aux discussions bilatérales entre les délégations de deux côtés. « Je suis convaincu qu’aujourd’hui nous avons réussi à donner une impulsion notable au renforcement du partenariat fraternel entre le Bélarus et la Russie », a-t-il prononcé. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Loukachenko a tout de même saisi l’occasion pour dénoncer la tendance russe à poursuivre davantage de discussions au sein de l’UEEA sur les questions biélorusses cherchant à rallier de ce fait les autres républiques à la rhétorique russe. Le président biélorusse estime que les enjeux russo-biélorusses ne doivent être soumis au débat que par les acteurs directement concernés, c’est-à-dire, la Russie et le Bélarus. « Je pense que nous ne devrions pas jongler entre un format et l’autre car chaque plateforme a son but précis (…) et nous sommes en mesure de résoudre nos problèmes sans impliquer les autres républiques de l’UEEA ». Le dirigeant biélorusse a conclu cette partie de son exposé en réitérant que seule une approche neutre et objective peut assurer l’approfondissement équitable de l’État de l’Union où les intérêts de deux parties seraient pris en compte d’égal à égal. C’est dans ce contexte qu’il a insisté sur le rôle qui doit être attribué à Grigori Rapota, secrétaire de l’État de l’Union et dirigeant du Comité permanent, chargé d’évaluer le déroulement du processus d’intégration interétatique et prendre des mesures nécessaires pour que cette dernière soit efficace.
Au-delà des formalités, telles comme les félicitations réciproques pour les accomplissements acquis au cours des dernières années, photos conjointes ou encore les cadeaux mutuels traditionnellement offerts par les deux chefs d’États (Samovar d’édition spéciale pour la FIFA offert par Poutine au président biélorusse et un tableau avec un paysage pittoresque de la ville natale du président russe octroyé par son homologue), quelques sujets significatifs furent néanmoins abordés. Parmi les discussions les plus saisissantes, on peut repérer l’objectif d’accroître le chiffre d’affaires jusqu’à 50 milliards d’euros puisque l’échange commerciale entre les deux États a drastiquement diminué depuis quelques années lorsque la Russie a commencé à diversifier son économie en raison des sanctions ; l’amélioration du climat des affaires pour attirer davantage d’investissements à l’État de l’Union ; l’harmonisation de la politique fiscale ; et la création des infrastructures avec le développement des projets communs (routes, usines, emplacement stratégiques, entreprises, etc.). Enfin, c’est le secteur énergétique qui a reçu le plus d’attention vu le panorama global où la concurrence entre les fournisseurs d’énergie s’accroît et les prix fluctuent considérablement d’une année à l’autre, ce qui devrait en principe renforcer encore plus la coopération russo-biélorusse notamment dans le domaine du transit du gaz où le gazoduc Yamal-Europe joue un rôle désormais crucial pour la Russie, le Bélarus et l’Union Européenne. C’est pour cela qu’il sera modernisé et adapté aux nouveaux objectifs avant 2020 contrairement aux autres gazoducs, passant par l’Ukraine, qui risquent d’être abandonnés.