Par Nikita Taranko Acosta
En pleine action de la Coupe du Monde de football en Russie et lorsque tous les regards sont tournés vers le sort des équipes participantes, la flagrante défaite de l’équipe biélorusse au Championnat du monde de hockey 2018 au Danemark le mois passé a généré une nouvelle crise à l’intérieur du pays. Le Bélarus, n’étant pas classifié pour la Coupe du Monde de football et n’ayant pas une véritable tradition de ce sport, a subi un coup fatal lors de la récente défaite au hockey. Semyon Shapiro, président de la Fédération biélorusse de hockey, n’a pas eu d’autre choix que d’annoncer sa retraite, le 28 juin 2018, lors d’une conférence de presse de la fédération au cours de laquelle il a dû subir de vivaces critiques de la part du président biélorusse, Alexandre Loukachenko, suivi par les représailles du reste du Comité, en plus d’être condamné par la presse et l’opinion publique. » J’ai toujours cru que l’on doit partir lorsque l’on n’accomplit pas notre tâche« , a déclaré Shapiro, expliquant que cette décision a été prise de lui-même « ayant pesé et évalué la situation ».
L’échec du président de la Fédération de hockey semble évident, mais il n’est pas le seul fautif. Le ministre des Sports a aussi accusé l’équipe biélorusse lors de la Coupe du Monde car elle a perdu tous les matchs consécutifs : 0-5 contre la Suède, 2-6 contre la France, 0-6 contre la Russie, 2-5 contre la Suisse, 0-3 contre la Tchéquie, 0-4 contre l’Autriche et enfin 4-7 contre la Slovaquie. Il s’agit du pire résultat dans l’histoire du hockey biélorusse, pourtant le principal sport du pays. Cependant, cela ressort comme un contraste, notamment par rapport à l’année 2014 lorsque Bélarus a accueilli le Championnat du monde et a fini en 7ème position. D’ailleurs, cette humiliante défaite au Danemark a eu pour conséquence la sortie du pays de la Division Élite pour la première fois depuis 2003 lorsque le Bélarus était enfin arrivé en groupe A. Néanmoins, au-delà d’un échec sportif, c’est surtout l’image du président Loukachenko qui est en chute car il incarne sans aucun doute l’image du hockey.
En effet, après le démantèlement de l’Union soviétique et l’arrivée au pouvoir du leader populiste Loukachenko, plus d’une vingtaine de palais des sports furent construits au Bélarus pour promouvoir le sport et le style de vie sain. Cependant, la plupart des palais furent érigés pendant les années 1990 quand le pays se trouvait en ruines en terme de développement socio-économique. Le sport paraissait être la moindre des préoccupations de la société biélorusse. Cela explique aussi que ce soit aujourd’hui, l’un des points le plus controversés et critiqués par les opposants de Loukachenko, tout comme la récente construction de la 17ème résidence présidentielle. Par ailleurs, le hockey est vite devenu le sport préféré du président et il n’a pas tardé à créer sa propre équipe qui a reçu le nom « Loukachenko » où il joue depuis comme capitaine et gagne sans surprises tous les matchs en marquant le plus grand nombre de goals.
En même temps, si Loukachenko est critiqué par ses adversaires à cause de la malversation de fonds publics pour l’édification de ces palais et stades dans des lieux où il n’existe aucune tradition de hockey ni des conditions favorables à son épanouissement, l’ex-président de la Fédération du hockey, ainsi que les membres des principaux clubs du hockey biélorusses, lui furent toujours reconnaissants, explique Pavel Bashmakov pour Naviny, juge de la plus haute catégorie nationale : « on ne peut que remercier notre président pour tenter d’élever la culture du hockey dans notre pays. On voit qu’il l’aime véritablement [le hockey] et c’est excellent (…) ». Mais même Bashmakov a reconnu que ces palais devraient être construits plutôt en « accord avec l’école de hockey et pas d’une manière arbitraire ». Il ne faut pas oublier non plus que tous ces stades finissent par être peu ou non rentables car les tickets pour les matchs coutent trop chers et la location du matériel pour aller patiner quelques heures sur la piste est complétement hors du budget pour la plupart des Biélorusses, alors que les analystes sportifs estiment que ce sont justement ces deux choses qui pourraient approcher le peuple à la culture élitiste du hockey et légitimer son épanouissement. Or, les stades continuent à ce jour d’être vides et d’autres projets de construction de nouveaux palais de sports sont envisagés.
Quant au bouleversement interne, Shapiro ne fut pas le seul à démissionner. Dave Lewis, l’entraîneur canadien de l’équipe biélorusse avait renoncé à son poste après la défaite contre la Russie que certains politologues ont jugés d’ailleurs « politiquement correcte ». C’est donc Sergueï Pushkov qui a remplacé l’entraineur pour la durée du Championnat mais n’a pas voulu non plus prolonger son contrat. Aujourd’hui aucun remplacement a été trouvé, ce qui aggrave encore la crise sportive et politique et enrage davantage le président biélorusse qui est en train de perdre la face sans trouver une solution.
Pour l’instant, le seul « élan » a été le remplacement de Shapiro par Guennadi Sapirov, joueur actuel dans l’équipe de Loukachenko, désormais nouveau président de la Fédération biélorusse du hockey. Dans son communiqué de presse, il a tout de suite remarqué que « c’est notre douleur [la défaite]. L’ensemble du pays est perplexe (…). Nous devons prendre des décisions qui permettront à Dinamo [le principal club du Bélarus] de continuer à rassembler les fans dans l’arène, tout en aidant l’équipe à progresser ». Il a réitéré aussi l’urgence de restructurer l’organisation de la fédération et du Dinamo pour qu’il y ait une relation d’équilibre entre le club et l’équipe nationale qui dépend de la fédération et dont une partie des joueurs sont étrangers nationalisés. En suivant la rhétorique conservatrice du président, Sapirov a insisté sur la « pureté de l’équipe » qui doit représenter le vrai Bélarus. En d’autres termes, ce sont les cadres Biélorusses qui doivent intégrer l’équipe et pas les joueurs du Canada ou de l’EEUU « allogènes au style de jeu traditionnellement biélorusse » ; il a ensuite utilisé le même argument pour dénoncer les entraineurs étrangers. De ce fait, le nouveau président de la Fédération semble essayer de rediriger les accusations envers les joueurs étrangers qui sont devenus aussi des boucs émissaires (et cela malgré leur loyauté ou tout du moins l’acceptation du régime et le fort soutien à l’équipe biélorusse) afin de purifier l’image de Loukachenko qui n’a jamais laissé aux entraineurs professionnels faire leur travail car le président a toujours perçu le hockey plutôt comme un show où le but est de marquer quelques goals spectaculaires et montrer ainsi la pseudo-puissance du pays. Or, il n’est pas possible d’avoir une équipe forte sans disposer d’entraineurs capables d’établir un lien entre les joueurs et sans développer une bonne communication. Shapiro avait déclaré avant de démissionner que le travail d’un entraineur est de créer ce pont. Or, quel pont et quelle communication peut-on développer dans un modèle où les joueurs sont obligés de suivre aveuglement les ordres de leur entraineur qui est à la fois obligé de se montrer extrêmement autoritaire pour plaire au Comité de la Fédération qui n’a d’autre choix que de veiller aux caprices et remarques souvent insensées au niveau sportif du président biélorusse qui n’accepte aucune critique constructive de la part des experts ?