L’accord historique de la mer Caspienne, une épine dans le pied en moins ?

Par Edouard Pontoizeau

PHOTO DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES AU SOMMET DE MOSCOU LE 5 DÉCEMBRE 2017 (C) KIRILL KUDRYAVTSEV/AFP. 2017.

Depuis 1991, la mer Caspienne était le théâtre de quiproquos diplomatiques entre les cinq États riverains qui ont, dimanche dernier, trouvé un accord historique.

Organisé au Kazakhstan dans le port d’Aktaou (au bord de la mer Caspienne), ce sommet réunissait l’Azerbaïdjan, l’Iran, le Kazakhstan, la Russie et le Turkménistan pour entériner des accords visant à mettre fin à vingt-sept ans de querelles diplomatiques sur la problématique de la mer Caspienne.

  • En quoi l’accord consiste-t-il ?

À travers cet accord multilatéral inédit signé le dimanche 12 août 2018, les problématiques à la fois économiques, politiques, mais aussi géographiques concernant la plus grande surface d’eau enclavée au monde, ont été traitées.

  • Le statut juridique

Tout d’abord, la mer Caspienne n’avait comme statut que celui d’un lac et non celui d’une mer contrairement à ce que son nom peut indiquer.

Cette notion de statut juridique est primordiale, puisque le droit de la mer ne s’appliquait pas sur ce qui était techniquement le lac le plus grand du monde. Ce statut, hérité de l’accord soviéto-iranien de 1926, prévoyait une exploitation commune de cette « mer », et la liberté de circulation des deux pays, ainsi que l’autorisation d’avoir une flotte armée.

En 1991, alors que l’Union soviétique se disloquait et laissait place à de nouveaux États indépendants, cet accord fit réémerger la problématique du statut de la mer Caspienne.

La déclaration d’Almaty de décembre 1991, initiatrice de la Communauté des États Indépendants (CEI), incluait pour tous les États nouvellement indépendants la totalité les accords internationaux de l’Ex-Union soviétique, dont celui de 1926.

La Russie, sur la base de ce traité, a donc suivi le principe d’une exploitation commune de la Caspienne, sans autre restriction qu’une zone côtière réservée aux États riverains (12 miles marins, soit 22 km environ).

Néanmoins, ce mode de fonctionnement, ne considérant pas le droit international de la mer, dû au fait que la Caspienne ne possède pas d’accès direct à un océan ou à une mer ouverte, ne réglementait pas l’exploitation pétrolière, gazière et la pêche au-delà des zones côtières.

L’accord de ce dimanche a permis de dissiper les tensions résultant de ce vacuum juridique, et donne ainsi un « statut légal spécial » à la mer Caspienne. Élargissant certes les zones d’exploitation sous-marines, cet accord préserve néanmoins une grande partie de la Caspienne en tant que zone partagée.

  • L’exploitation pétrolière et gazière

Bien que l’exploitation pétrolière dans cette région date du XIXe siècle, c’est depuis le début des années 2000 que d’importants gisements de pétroles et de gaz ont été découverts et ont permis un développement sans précédent de certains pays riverains. Certains pays ont connu un véritable boom économique, à en faire rougir les pays émergents. L’Azerbaïdjan vit son produit intérieur brut (PIB) passer de 5 milliards de dollars en 2000 à 75 milliards de dollars en 2014 par exemple (Banque Mondiale, 2017).

En effet, la mer Caspienne abrite des réserves qui sont estimées à près de 50 milliards de barils de pétrole et près de 300 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Quelques accords bilatéraux ont été trouvés, durant la fin des années 1990 et le début des années 2000, pour les droits d’exploitation mais ces accords étaient exclusifs et ne constituaient en rien une véritable politique commune sur l’ensemble de la mer Caspienne.

De cette rente providentielle en devenir, les cinq pays sont parvenus donc à y établir une répartition juridique suffisante pour chacun des partis.

  • La pêche

Concernant la pêche, la mer Caspienne loge la plus grande réserve d’esturgeon au monde dont les œufs, plus connus sous le nom de caviar, sont une des denrées les plus recherchées. L’accord prévoit un système de quotas d’exploitation que devra respecter chacun des pays signataires pour ce qui a trait à la pêche dans les eaux de la Caspienne. Ce régime permettrait de mettre fin à une surexploitation des bancs de poissons et des bélugas notamment.

  • Qui en sont les bénéficiaires ?

À vrai dire, l’accord semble tenir d’une véritable prouesse diplomatique, puisque tout le monde semble se satisfaire d’un tel accord. Bien que la Russie et l’Iran ne demeurent plus les bénéficiaires du vacuum juridique, il est certain que l’accord permet d’éloigner les tensions diplomatiques, en plus de garantir la sécurité d’exploitation d’une grande partie des richesses sous-marines.

En outre, la Russie « gagne de bons points pour avoir fait sortir une situation de l’impasse », et tend à renforcer son image de pays producteur d’accord diplomatique souligne John Roberts, analyste collaborant avec l’Atlantic Council. La Russie parvient aussi à maintenir une hégémonie militaire en interdisant à des pays autres que les États signataires d’installer ou de disposer de bases militaires sur la Caspienne.

Le seul point d’ombre, et non des moindres, se trouve être l’environnement. Bien que le système de quota entrevoie une règlementation raisonnée de la pêche de béluga et d’exploitation d’esturgeon, l’absence de réglementations environnementales liées à l’extraction pétrolière et gazière semble toujours porter préjudice à l’environnement.

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