Par Nikita Taranko Acosta
La libération des journalistes a eu lieu le 9 août 2018 (3 jours après les arrestations) lorsque le Comité d’enquête du Bélarus a décidé de libérer tous les journalistes détenus, impliqués dans l’affaire de l’accès non autorisé à l’information payante auprès de l’agence nationale d’information BelTA. On retrouve cette information sur le site du service de presse du Comité d’enquête du Bélarus où aucune raison spécifique n’est pourtant donnée à cet égard.
Nous apprenons, en plus, que Marina Zolotova, la rédactrice en chef du portail d’information Tut.By, n’a pas été mise en détention jusqu’à la résolution de son procès car elle a accepté de collaborer avec la justice biélorusse et a facilité le déroulement de l’enquête. Ainsi, d’après le Comité d’enquête, la journaliste a reconnu que les employés de Tut.By avaient depuis longtemps utilisé « illégalement les données de BelTA sans avoir un abonnement payant » et que « ces informations ont été confirmées par d’autres témoignages lors des déclarations initiales du procès », prône l’enquêteur chargé de l’affaire pénale.
Compte tenu de la coopération active dans l’enquête, « le juge d’instruction a décidé de ne pas appliquer la mesure préventive sous la forme d’une détention à l’égard de Zolotova », explique le communiqué du Comité d’enquête. On ignore pourtant si la journaliste a volontairement accédé à coopérer ou si elle a été forcée d’effectuer cette déclaration acceptant toute la culpabilité dont on l’a accusée ; certains se montrent assez sceptiques sur ce tournant quelque peu inattendu. Pourtant, Marina Zolotova a expliqué aux journalistes lorsqu’elle est sortie du centre de détention qu’elle a reçu un traitement correct et que les officiers et les gardiens n’ont pas abusé de leur autorité pour l’intimider. Par contre, elle n’a pas voulu répondre à la question provocatrice du journaliste de Belsat (chaîne télévisée officiellement interdite au Bélarus et qui est émise depuis la Pologne) concernant les raisons d’avoir besoin de l’accès à l’information de BelTA ainsi que la façon dans laquelle les journalistes avaient prétendument obtenu les mots de passe de l’agence étatique.
D’autre part, malgré la collaboration et la libération de la rédactrice en chef de Tut.By, elle n’a pas été épargnée du point de vue juridique car une procédure pénale reste toujours ouverte contre elle en vertu de l’article 349 du code pénal biélorusse (accès non autorisé à l’information informatique). Ses actes sont en plus qualifiés comme une infraction grave pour laquelle le paragraphe 2 de l’article 425 du code pénal biélorusse (inaction du fonctionnaire) prévoit une lourde sanction dans le meilleur des cas.
Par ailleurs, d’autres journalistes ont été également libérés le même jour que Marina Zolotova, même si l’enquête est toujours en cours. Il s’agit de ses collègues du portail de Tut.By et des journalistes de l’agence de presse BelaPAN, notamment Anna Kaltyguina, Galina Ulasik et Anna Ermachenok, ainsi que des journalistes accusés venant de l’étranger. Quant aux journalistes indépendants biélorusses, leur sort est moins chanceux car ils continuent d’être accusés d’espionnage, de trahison ou encore de biélorussophobie depuis quelques mois et sont toujours enfermés dans les centres de détention.
Il faut rappeler ainsi que la lutte contre les médias jugés frauduleux ou menaçants pour la sécurité nationale a été entamé par le Gouvernement depuis l’année passée déjà. Cependant, l’ouverture du procès pénal contre les portails d’information réputés et tolérés pendant longtemps montre que le régime est plus que jamais concerné pour sa survie à moyen-terme, d’autant que l’enquête contre les journalistes est désormais soutenue par le Ministère de l’intérieur. L’accès illégal aux données informatiques restreints de l’agence BelaPAN dirigée par l’État pendant la période de 2017-2018 peut, dans cette situation, servir de prétexte à la chasse aux journalistes — coupables ou non —. Il est intéressant de noter que plus d’une centaine de journalistes ont été arrêtés au Bélarus seulement en 2017 selon Reporter Sans Frontières et qu’aucun d’entre eux ne travaillait pour les médias étatiques, ce qui fait preuve sans aucun doute d’une lutte hautement sélective où les raisons officielles doivent être du moins remises en question.