Le Bélarus après les élections de 2020 : le bilan

By Nikita Taranko Acosta

Depuis qu’Alexandre Loukachenko s’est autoproclamé vainqueur d’un sixième mandat en 2020, le pays traverse une période de turbulences politiques, économiques et sociales sans précédent, même si les enjeux remontent au début de sa présidence en 1994 lorsque la dérive autoritaire devient une tendance et s’installe dans la durée. Pourtant, c’est à la suite des élections présidentielles abusivement truquées en août 2020 qu’une campagne de répression massive a forcé des milliers de personnes à quitter le pays, tandis que plus de 35.000 ont été arrêtés et presque 600 ont déjà reçu le statut de prisonniers politiques. Il s’agit d’un tournant décisif car le point de non-retour a été atteint. « L’îlot de stabilité », comme certains nostalgiques de l’URSS et partisans de la main dure du président autoritaire qualifient le pays, est devenu un Goulag moderne tout au centre de l’Europe.

Isolement croissant

Le Bélarus est désormais isolé physiquement : pour la première fois dans l’histoire, son espace aérien est fermé à la plupart des pays européens (sauf la Russie et la Turquie) et tous les pays occidentaux à la suite d’un acte de piraterie aérienne mené par le régime bélarusse le 23 mai 2021. La frontière terrestre est aussi de plus en plus difficile à franchir des deux côtés du rideau de fer et les restrictions pour quitter le pays ne cessent de s’accroître (la bureaucratie se complique, les départs en véhicules privés sont payants et limités à 1 fois sur 6 mois, sans parler des humiliations et réquisitions arbitraires à la douane). De plus, la Lituanie, en collaboration avec FRONTEX, a commencé à ériger des barbelés pour se protéger de migrants illégaux que le Bélarus exporte ver l’espace Schengen principalement depuis le Moyen Orient. À cela s’ajoute aussi l’isolement économique en pleine expansion avec les paquets de sanctions qui se succèdent, la fermeture des marchés financiers internationaux ou l’arrêt de toute aide au développement étant quelques exemples de retombées néfastes.

Soutien de l’Occident

Il ne faut pas oublier que l’Occident, et notamment l’UE, a contribué jusqu’à présent au développement du Bélarus dans de très nombreux domaines allant de programmes culturels spécifiques comme Erasmus+, qui a donné la possibilité à près de 1000 étudiants et membres du personnel universitaire du Bélarus d’étudier ou d’enseigner dans les pays de l’UE entre 2015 et 2017, aux aides financières concrètes visant la propulsion du secteur privé, comme l’initiative EU4Business permettant à 4500 entreprises de bénéficier de prêts, formations et conseils, ce qui a favorisé la création de 5700 nouveaux emplois et a aidé les PME à se développer et à accroître leurs débouchés commerciaux. Grâce à la coopération bilatérale au sein du Partenariat oriental (que Bélarus vient de quitter), l’allocation financière au Bélarus s’était élevée à environ 30 millions d’euros de subventions annuelles depuis 2016.

Perte de crédibilité, la Russie est gagnante

Sur le schéma politique, le panorama est encore plus dévastateur : fermeture des consulats et ambassades, purges omniprésentes, perte de prestige et de crédibilité ; bref, aucune possibilité de réconciliation avec le monde civilisé sans la démission de Loukachenko. Vu la toxicité du régime, un grand nombre d’événements sportifs, culturels et artistiques internationaux a été annulé dans le pays (championnat du monde de hockey, Eurovision, les matchs de football d’UEFA, etc.) Dans cette conjoncture, la Russie reste la seule source « d’amitié » (envoyant quelques artistes au Festival Slavianski Bazar de Vitebsk qui a été boycotté par la plupart des artistes bélarusses et internationaux cette année) et de financement externe (la Chine s’y intéresse de moins en moins vu que le pays ne peut plus être utilisé comme la voie d’entrée en Europe) ; toutefois, les nouveaux prêts sont de plus en plus subordonnés à des concessions politiques difficiles, ce qui complique la situation pour le régime déjà affaibli.

Naufrage économique

Voyons aussi quelques chiffres du « miracle » bélarusse : les réserves d’or et de devises ont diminué de 529 millions de dollars (7,3 %) au cours du premier trimestre de cette année, alors qu’elles avaient déjà diminué de 1,9 milliard de dollars (20,5 %) l’année dernière. En outre, le pays a accumulé une dette extérieure record avec plus de 40 milliards de dollars, le déficit budgétaire continue de croître et a atteint 1,3 milliard en janvier-février, les IDE ont chuté de 53.8 % dans la même période. La pauvreté se reflète également dans les salaires que touchent les Bélarusses, qui sont actuellement les plus bas d’Europe (le salaire minimum officiel est de 168€ environ), derrière la Moldavie ou l’Ukraine, traditionnellement considérés comme les plus pauvres d’Europe. Certes, le taux de chômage reste assez bas, même si on estime qu’il a considérablement augmenté depuis 2020 malgré la fuite massive de cerveaux et il n’est certainement pas de 0,5% comme essayent de le montrer les sources du gouvernement bélarusse. Il est pourtant difficile d’offrir des données exactes dans un pays où les sondages indépendants sont interdits. Le décret n° 3 (dit décret « contre les parasites sociaux »), qui a introduit une taxe sur les personnes qui n’ont pas d’emploi à temps plein au Bélarus en 2017, est encore un exemple d’intimidation et de contrôle sur la population qui ne peut ou ne souhaite pas travailler pour toucher une misère et nourrir l’appareil répressif. Dans les pays civilisés on a tendance à faire l’inverse, c’est-à-dire, on soutient les personnes au chômage sans les accuser.

Classements européens et internationaux

Le Bélarus n’est pas très performant au cours de ces dernières décennies. Il occupe les premières positions en Europe dans le taux de suicide, l’alcoolisme, l’inflation, le commerce illicite ou le nombre d’officiers de polices par personne. En même temps, il se positionne fermement en bas des autres classements : 131 place sur 148  dans le classement de la liberté de faire des choix de vie, 41 place sur 44 pour l’espérance de vie en Europe, 70 place sur 76 en termes de cybersécurité, c’est le pire pays d’Europe d’après l’indice de démocratie avec 148 place sur 167, c’est aussi le pays le plus dangereux d’Europe pour les journalistes à la 158 place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse, il fait partie aussi des 10 pires pays pour les travailleurs en 2021, selon l’indice CSI des droits dans le monde 2021, etc.

Bilan

Pour les amateurs de dictatures contemporaines, une visite au cœur géographique de l’Europe est vivement conseillée. Les sensations fortes y sont garanties, il suffit de s’inspirer avec le rapport onusien du Comité contre la torture ou celui du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Bélarus. Enfin, il faudrait juste éviter de porter des couleurs rouges et blanches et faire surtout attention aux chaussures NIKE et la boisson Coca-Cola.

En récapitulant, compte tenu des contraintes financières croissantes et des problèmes structurels profondément enracinés, les perspectives économiques sont sombres, le soutien au régime tant à l’interne qu’à l’externe s’effondre, alors que la pression augmente. D’ailleurs, la gouvernance par la terreur est le dernier rempart du système dément. Or, tout indique que le Titanic coulera tôt ou tard et les responsables de la tragédie devront payer la facture.

Références :

Rapport de l’OSCE, 5 novembre 2020 : https://www.osce.org/files/f/documents/2/b/469539.pdf

Conseil européen 4 juin 2021 : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/06/04/eu-bans-belarusian-carriers-from-its-airspace-and-airports/

Partenariat oriental : https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/neighbourhood/countries/belarus_en

Belarus economic indicators: https://tradingeconomics.com/belarus/indicators.

Amnesty International, « LES DROITS HUMAINS AU BÉLARUS EN 2020 » : https://www.amnesty.fr/pays/belarus.

HCDH, « Rapport du Comité contre la torture au Bélarus » et « Rapport du Comité des droits de l’homme sur la situation au Bélarus » : https://www.ohchr.org/fr/countries/enacaregion/pages/byindex.aspx

Nikita TARANKO ACOSTA

Connaisseur du Bélarus, spécialiste de la CEI et de l’UEEA

Lauréat du prix d’excellence du Master en Russie et Europe médiane du Global Studies Institute de l’Université de Genève

Chercheur et rapporteur indépendant pour le think tank genevois CREER (Center for Russia and Eastern Europe Research)

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